AD PERPETUAM REI MEMORIAM

 

Introduction

— « Ne rien dire des autres c’est se méconnaître soi-même. Mais, si tu parles des autres, ne dit que la vérité, car du mensonge beaucoup en sont déjà experts. »

Partant de ce principe, pour moi sacro-saint, nous allons essayer d’apporter un peu de lumière sur la vie d’une “Petite Sœur” depuis longtemps oubliée de presque tout le monde : Sœur Marie-Lucie, de la Congrégation des Petites Sœurs de l’Assomption.

Nous avons dit “de presque tout le monde”, car, au sein de sa famille, les Abelé, ceux du champagne du même nom, on cultive encore, jalousement — comme on les comprend ! — le souvenir de cette belle âme que le Seigneur appela à Lui, il y a un peu plus de cent ans déjà.

Pourquoi, alors que la biographie écrite par Monseigneur Maurice Landrieux eut tant de succès, — plusieurs éditions dont la première en 1909 et la dernière en 1941 — et qui fut lue dans le monde entier, — les témoignages sont là pour le prouver — on l’oublia si radicalement ?

Notre métier — Conservateur du Cimetière du Nord, à Reims, l’une des plus anciennes nécropoles de France — nous oblige, bien souvent, à faire des recherches, non seulement pour renseigner les visiteurs et les familles qui viennent de loin se recueillir sur les tombes de leurs ancêtres, mais aussi pour nous informer nous-même sur certains notables « qui ont façonné la renommée et le développement de notre Cité », et dont l’histoire « fait partie du patrimoine Rémois ».[1]

Ce fut au cours de l’une de ces recherches — nous préparions alors un livre sur l’histoire de cette belle et ancienne nécropole rémoise[2] — que nous avons connu l’existence de cette “Petite Sœur”, et cela, grâce à l’amabilité de Monsieur Édouard Abelé, que nous avons rencontré en cette période, et que nous tenons à remercier ici, très amicalement et sincèrement.

Nous avons enquêté, pour savoir un peu plus, afin de pouvoir aussi vous en dire davantage. Nous avions constaté que la biographie écrite par Monseigneur Maurice Landrieux, ne comportait aucun nom de famille, ce qui nous sembla quelque peu insolite. En effet, chaque fois qu’il aurait fallut lire Monsieur Dières-Monplaisir, par exemple, ce nom y était remplacé par les initiales M. D.-M.

Profitant de la gentillesse de notre ami, nous lui avons demandé une explication à ce sujet. Nous avons alors appris que cela correspondait à un souhait, non seulement de la famille Abelé — alors à l’apogée de sa renommée, — mais aussi de la part des autorités ecclésiastiques : on avait la crainte que cette renommée familiale fût un handicap sérieux pour l’instruction de la cause, éventuelle, de béatification et canonisation de la jeune religieuse...

On peut le comprendre... mais difficilement le partager, car une religieuse, ou la vie de celle-ci, n’appartient plus à sa propre famille, ni même à sa famille religieuse, mais à toute la famille chrétienne à laquelle celle-ci s’est volontairement consacrée !

Mais, depuis la guerre (1939-1945), plus personne ne s’y intéressa, et le livre de Monseigneur Landrieux disparût des vitrines des libraires, comme si un voile silencieux et funèbre devait être posé sur cette belle vie d’enfant de Dieu.

Lucie Dières-Monplaisir — appelons-la par son nom — était contemporaine d’autres “petites sœurs”, devenues célèbres dans l’Église : Thérèse de l’Enfant-Jésus — qui est née la même année que Lucie, 1873, et décédée la même année que la “Petite Sœur” de l’Assomption, 1897 — et Élisabeth de la Trinité, toutes deux carmélites, que l’Église éleva aux honneurs des autels.

Notre but n’est pas celui de nous substituer à l’Église, où de la “canoniser” nous-même, car « nous déclarons, pour nous conformer aux décrets d'Urbain VIII en date du 13 mars 1625, du 5 juin 1631, du 5 juillet 1634, concernant la canonisation des saints et la béatification des bienheureux, que nous ne prétendons donner à aucun des faits ou des mots contenus dans cet ouvrage, plus d'autorité que ne lui en donne ou ne lui en donnera l'Église catholique, à laquelle nous nous faisons gloire d'être très humblement soumis. »

Cette clarification étant faite, rien ne m’empêche, par contre, de faire des suggestions, de combler des vides, d’avancer des hypothèses, voire même faire des affirmations que l’histoire ne saurait démentir et que, par conséquent, nul ne pourrait contester.

Parler de ceux que l’on aime est un plaisir auquel nous ne saurions ni résister ni nous en passer. Et nous aime de tout notre cœur, de toute notre âme, cette “Petite Sœur” qui est, à notre avis, un modèle de gentillesse, d’amour et de tendresse ; un modèle dont la jeunesse d’aujourd’hui ne saurait s’en priver. En effet, nous sommes tout à fait d’accord avec son premier biographe, lors qu’il écrit : “Alors, on a pensé qu'au feu qui dévorait cette âme d'autres âmes pourraient s'embraser”.[3]

Sa contemporaine, Thérèse de Lisieux, élevée désormais aux honneurs de Docteur de l’Église, ayant monté dans un degré sublime dans la hiérarchie des saints — le doctorat étant la consécration suprême ! — il ne serait pas de mauvais aloi de présenter à la jeunesse de France, Marie-Lucie comme un modèle à suivre, une étoile à regarder dans le ciel si ténébreux de nos jours, où la jeunesse en quête de spiritualité ne sait plus très bien où aller, vers qui se tourner — l’abondance et le succès des sectes est là pour le prouver.

Ceci ne veut pas dire pour autant que l'on doive oublier l’enfant de Lisieux, loin s’en faut. Thérèse reste et restera pour longtemps un modèle incontournable pour tous ceux qui, désireux d’approfondir leur spiritualité — dans l’enfance du cœur et de l’âme — trouveront toujours en elle un modèle irremplaçable, un guide éclairé, une sœur toujours soucieuse de déverser sur le monde “une pluie de roses”, une sainte qui souhaite continuer de “passer son ciel à faire du bien sur la terre”.

Mais, dans ce contexte, quelle place pourrait occuper, Sœur Marie-Lucie ?

Tout simplement la sienne. Celle qu’occupent toutes ces “petites âmes” qui, n’ayant pas fait la “une” des journaux de leur époque, n’ont pas moins contribué —  par la vie chrétienne qu’elles ont menée, par leur sens de l’Évangile et par leur “petite voie” —  à la gloire de Dieu et au salut des âmes.

Sœur Marie-Lucie, outre cette vie cachée mais toute remplie de Dieu, est une source inépuisable de grâces. Non pas qu’elle les accorde elle-même, car toute grâce vient de Dieu, mais parce qu’elle semble avoir, sur le Cœur de Jésus, une prédilection certaine, un “pouvoir” d’épouse que ne démentent pas les témoignages rapportés par Monseigneur Landrieux dans son ouvrage.

* * * * *

Parler de ceux que l’on aime — avons-nous dit — est un plaisir si agréable si doux au cœur, que nous ne résisterons pas à vous redonner encore quelques témoignages rapportés par Monseigneur Landrieux dans son livre. C’est qu’ils ont l’avantage, ces témoignages, d’avoir été pris “sur le vif”, d’avoir été déposés comme des boutons de rose sur un autel, en l’honneur et à la gloire de celle auxquels ils sont redevables.

Comme Thérèse de Lisieux, Marie-Lucie semble vouloir passer son ciel à faire du bien sur la terre, à soulager ceux de ses frères qui dans le besoin spirituel ou matériel, ont recours à Dieu par son intermédiaire.

« Les faveurs temporelles qu'on lui attribue sont moins nombreuses.

On ne saurait pousser trop loin la réserve lorsqu'on aborde ce chapitre, et les mots qu'on répète parce que les intéressés les ont employés, les faits qu'on rapporte tels qu'ils vous ont été contés, sont évidemment sujets à révision.

Ici, c'est une jeune veuve, malade, qui se voit mourir, révoltée à la pensée d'abandonner ses enfants, qui se sent subitement apaisée, résignée au contact d'une relique de Sœur Lucie.[4]

Là, dans des conditions analogues, c'est une amélioration sensible qui permet d'éviter une opération déclarée urgente.

J'ai vu la malade guérie qui m'a confirmé le fait.

Une autre malade, menacée de cérébro-spinale, à qui on avait interdit le moindre mouvement, viole la défense pour atteindre un médaillon où étaient la photographie de Sœur Lucie et ses cheveux : “Je l'ai invoquée et j'ai senti que j'étais guérie !”

Un blessé, M. B. de H., amputé d'une jambe, ne pouvait marcher qu'avec des béquilles parce que, malgré trois interventions successives, les os s'obstinaient à percer les chairs sitôt qu'il essayait son appareil. À la fin d'une neuvaine à sœur Lucie, la cicatrisation récalcitrante se fit, rapide et parfaite, et le docteur la déclare définitive.[5]

Un malade, M. B., condamné par les médecins, éprouve, au seul contact de la “Vie de Sœur Lucie” que lui donne sa fille, une amélioration tellement imprévue que les docteurs en sont déconcertés.[6]

Un professeur de collège écrit que sa Sœur, épuisée par une maladie qui ne lui permettait plus de travailler pour vivre, s'est trouvée entièrement guérie en lisant “Une Petite Sœur”[7].

Le 10 mai 1920, M. H. V., attaché à une exploitation de mines du bassin de Briey, fait une chute du haut d'un mur et une grosse poutre lui tombe sur le corps. M. G. D.[8], son ami, frère de Sœur Lucie, témoin de l'accident, le dégage inerte et lui glisse dans la main, en l'exhortant, la croix du grand chapelet de sa sœur qu'il avait sur lui.

À l'hôpital, où on le transporte à demi mort, médecins et infirmières attendent une issue fatale. La Compagnie d'assurances intéressée, le fait radiographier, on l'examine avec soin, et l'impression générale, c'est qu'il est perdu, qu'il n'y a rien à faire.

Son ami lui apporte un médaillon contenant des cheveux de la Petite Sœur. Et, à l'encontre de toutes les prévisions, il guérit. Et lui-même déclare par écrit qu'il ne peut attribuer son très prompt rétablissement qu'à une intervention surnaturelle due à Sœur Lucie qu'il avait invoquée en tombant et à laquelle encore était revenue sa première pensée sitôt qu'il eut repris ses sens.[9]

Ailleurs, c'est un procès gagné par son intercession, dans des conditions singulières et impressionnantes.

Un curé déclare qu'il prie tous les soirs Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus et Sœur Lucie, qu'il leur confie tous ses malades difficiles et qu'il est exaucé.

“J'ai eu d'innombrables témoignages de l'influence profonde de Sœur Lucie, à Brest d'abord, puis à Toulon. »[10] La même assurance me revient pour Paris, Rouen, Bordeaux.[11]

J'ai sous la main, datée de 1911, une lettre ainsi conçue, avec une offrande en action de grâces : « Sous le coup d'un danger immédiat, j'ai eu recours à Sœur Lucie, et une demi-heure après j'étais exaucé.”[12]

Que penser de ce récit ? « Dans une crise de désespoir, une force à laquelle il m'était impossible de résister me poussa vers le portrait de Sœur Lucie. Elle souriait, oui, toujours, mais son sourire était comme vivant, son regard aussi vivait. Et plus je la regardais, plus ce sourire s'épanouissait doucement ; ce n'était plus comme une image. Combien de temps cela a-t-il duré ? Peut-être cinq à six minutes. Les yeux pleins de larmes, pacifiée, l’âme apaisée, je la regardais sans aucun besoin de paroles, car elle comprenait et j'entendais ce qu'elle voulait me faire comprendre. À la fin seulement, j'ai dit : “Merci, chère petite Sœur Marie-Lucie.”[13]

D'un monastère de Belgique, une moniale écrit : “J'ai demandé et obtenu par Sœur Lucie des grâces particulières... Une de mes compagnes a reçu aussi certaines faveurs par son entremise... Je la prie chaque jour. Elle exerce sur moi un tel ascendant qu'il me faudrait faire un effort pour ne pas vivre en union avec elle, comme si elle était à mes côtés.”[14]

Voilà donc un “échantillon” du “pouvoir” dont dispose la “Petite Sœur” sur le Cœur même de Dieu.

Lorsque nous parlons de ces âmes “extraordinaires” de simplicité et d’amour de Dieu et du prochain, nous ne pouvons nous empêcher de penser à la Lettre de saint Paul aux Romains :

— « Et nous savons qu’avec ceux qui l’aiment, Dieu collabore en tout pour leur bien, avec ceux qu’il a appelés selon son dessein. Car ceux que d’avance il a discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire l’image de son Fils, afin qu’il soit l’aîné d’une multitude de frères; et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés; ceux qu’il a appelés, il les a justifiés; ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés. »[15]

Prions donc, afin qu’un jour, Sœur Marie-Lucie puisse être glorifiée et donner aux jeunes — et moins jeunes — comme modèle à suivre, comme miroir où se reflètent les vertus si chères au Cœur de Dieu : amour et humilité ; foi et dévouement ; espérance et disponibilité.

 

Reims, le 22 décembre 1997
Alphonse Rocha


[1] Voir : Alphonse Rocha ; “Cimetière du Nord, deux siècles d’histoire rémoise” - Guerlin-Martin, Reims, 1998.

[2] Alphonse Rocha ; “Cimetière du Nord, deux siècles d’histoire rémoise” - Guerlin-Martin, Reims, 1998.

[3] Monseigneur Maurice Landrieux : “Une Petite-Sœur” ; Paris 1909.

[4] Lettre de Bordeaux, mai 1919.

[5] Lettre de Rouen, 21 octobre 1920.

[6] Lettre de Rouen, du 7 janvier 1922.

[7] Lettre des Charentes, du 11 janvier 1922.

[8] Georges Dières-Monplaisir.

[9] Lettre de Lorraine, du 7 février 1922.

[10] Lettre du 16 janvier 1920.

[11] Lettre du 17 février 1920.

[12] Lettre de Champagne, 20 octobre 1911.

[13] Lettre de Paris, décembre 1919.

[14] Monseigneur Maurice Landrieux : “Une Petite-Sœur” ; Paris 1919.

[15] Lettre de St Paul aux Romains: 8; 28-30.

 

 

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