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Les derniers jours de
l’année 1868 ont été signalés à Reims par une de ces pertes
douloureuses, irréparables, qui laissent une impression pénible dans les
esprits les moins portés aux réflexions sérieuses ou mélancoliques.
Le bienfaiteur, ou plutôt
le père des enfants abandonnés, le vénérable abbé Charlier, a été enlevé
au monde et à sa chère maison de Bethléem le 19 décembre. – La nouvelle,
aussi subite qu’imprévue, du décès de l’archiprêtre de Mézières, M.
l’abbé Petit, son compatriote et son émule en charité lui causa une
émotion violente contre laquelle toutes les ressources de la science,
furent impuissantes. Sa santé d’ailleurs avait subi déjà de graves
atteintes. Des ménagements extrêmes, inconciliables avec l’incessante
activité qu’exigeait l’accomplissement de son œuvre, auraient pu seuls
retarder la catastrophe que nous avons à déplorer.
L’origine de Bethléem
remonte au jour de Noël 1837. À diverses époques, mais notamment en 1836
et 1837, l’administration prescrivit le déplacement des enfants trouvés,
c’est-à-dire l’échange des enfants déposés au tour existant alors à l’Hôtel-Dieu
de Reims, contre un pareil nombre d’élèves des hospices de Châlons et de
Vitry-le-François. Ces petits êtres, ramenés à l’Hôtel-Dieu par leurs
nourriciers, étaient presque tous chétifs et souffreteux. Ils devaient
être transportés au loin, afin de les éloigner des parents qui, malgré
toutes les précautions, parvenaient souvent à découvrir leur résidence.
Des philanthropes avaient
provoqué cette mesure ; d’autres philanthropes, appartenant à une
différente école, la critiquèrent avec amertume. L’abbé Charlier était
alors aumônier de l’Hôtel-Dieu. Le spectacle navrant qu’il eut sous les
yeux exaltant son zèle évangélique, il voulut devenir le père de ces
malheureux enfants. Il y parvint par la fondation de Bethléem, pour
laquelle son ardente charité aplanit tous les obstacles.
De généreux protecteurs et
un grand nombre de personnes bienfaisantes vinrent à son secours, et
l’établissement ne cessa de grandir et de prospérer.
L’administration aussi lui
vint puissamment en aide, et, plus tard, quand le successeur de Napoléon
Ier put remplir les généreuses intentions exprimées dans son testament
par le fondateur de la dynastie, l’établissement de Bethléem devint
l’asile des Boursiers-Napoléon. Les enfants entretenus à ce titre à
Bethléem sont actuellement au nombre de trente-cinq.
Cet établissement, qui
n’avait pas de modèle, car les colonies pénitentiaires n’en diffèrent
pas moins par le but que par les moyens, a été célébré dans la langue
des dieux. L’académie de Reims ayant choisi l’éloge de cette belle
création pour sujet d’un de ses concours, de nombreuses pièces de vers
lui furent adressées. Celle qui fut couronnée avait pour épigraphe :
L’œuvre….. c’est l’homme .
Le poète raconte ainsi les humbles commencements de Bethléem :
La veille de Noël mil huit cent trente-sept,
Le soir, dans une grange, et presque sans lumière
Un prêtre et cinq enfants adressaient leur prière
À ce Dieu des Chrétiens, qui du haut de sa croix
Priait pour notre monde et celui d’autrefois...
C’étaient l’abbé Charlier et ses premiers pupilles !...
Bethléem !
Trois fois il t’a fallu changer de domicile
Avant de pouvoir dire : « Ici, je suis chez moi,
Libre, chéri de tous, protégé par la loi ».
Et pour finir l’auteur s’écriait :
O Rheims ! qu’à l’avenir le présent fasse envie !
Bethléem est à toi, c’est ton œuvre .... et tu sais
Que si l’on peut compter tous les jours de sa vie
Dieu seul... du bon Charlier peut compter les bienfaits !
Enfin, cette vie si bien
remplie s’est éteinte, mais sa tâche était achevée, ou du moins l’avenir
de Bethléem était assuré.
Nous avons dit qu’en 1837
M. Charlier était attaché à l’Hôtel-Dieu en qualité d’aumônier. Il avait
précédemment desservi la cure de Bétheny, où il fut envoyé aussitôt
après son ordination, en 1832. Ses parents étaient d’honnêtes
cultivateurs de Flaignes-lès-Oliviers (Ardennes). Né en 1804, le jeune
Charlier ne quitta son village natal et les travaux de la culture qu’à
l’âge de 18 ans pour commencer ses études ecclésiastiques. C’est sous ce
double rapport d’une origine toute plébéienne et d’une vocation tardive
que l’on a pu trouver quelque similitude entre le prêtre modeste,
fondateur de Bethléem, et l’illustre prélat que le diocèse de Reims,
après deux années entières, pleure encore comme au lendemain de sa mort,
et dont le peuple conservera la mémoire avec la plus profonde
vénération.
Source : Jean-Yves Sureau
http://www.lavieremoise.fr/
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