AD PERPETUAM REI MEMORIAM

Nicolas Diot
1744-1803

Réponse
de Monseigneur
l’Archevêque

 

Paris, 5 Avril 1791

 

J’ai reçu, Monsieur, votre lettre, en date du 28 du mois dernier. Avant de vous donner la peine de l’écrire, il vous était bien facile de prévoir la réponse que je devais y faire. Soumis aux Lois du Souverain, je suis, autant que personne, disposé, par caractère et par conviction, à rendre à César ce qui appartient à César, et je ne m’écarterai jamais de l’obéissance et de la fidélité que je dois à la Nation, à la Loi et au Roi, dans tout ce qui a rapport au Gouvernement civil du Royaume ; je sais que c’est là le devoir de tout Citoyen ; mais je sais encore que je suis Chrétien, Catholique, Archevêque. À ces titres, j’ai promis fidélité à l’Évangile, à l’Église, et c’est pour ne pas trahir ces engagements sacrés, dont aucune Puissance sur la terre n’a le pouvoir ni le droit de m’affranchir, que j’ai refusé, et que persévère à refuse de prêter le serment sur la Constitution prétendue civile du Clergé. J’ai fait connaître les motifs de mon refus dans l’exposition des principes des Évêques députés à laquelle j’ai adhéré, dans l’Instruction pastorale de M. l’Évêque de Boulogne, que j’ai adopté pour mon diocèse, et que j’ai fait publier, dans la lettre que j’ai adressée à MM. Les Électeurs du Département de la Marne. Ces motifs, je les manifesterai toutes les fois qu’il me faudra rendre compte de ma foi ; je les développerai, toutes les fois que les besoins de mes diocésains me paraîtront exiger que je leur donne des instructions et des préservatifs contre les dangers dont leur foi est menacée. Ces motifs ne sont pas à mes yeux de vains scrupules, ils ont sur mon esprit et ma conscience, toute l’autorité de la raison et de la vérité.

Mais vous, Monsieur, qui, à la nouvelle de votre élection, avez éprouvé une impression de frayeur si vive que, tout autre sentiment que celui de la crainte vous paraissait pour longtemps interdit, vous, dont les inquiétudes ont redoublé, en pensant aux suites funestes que cette élection peut avoir pour vous dans le temps et dans l’éternité [1]; vous êtes-vous bien assuré, bien convaincu que ces inquiétudes, ces craintes, ces frayeurs si vives n’étaient pas des mouvements de la grâce, des inspirations salutaires pour vous retenir dans votre devoir et vous empêcher de passer les bornes qui ont été posées par nos Pères ?

Nos Pères dans la foi croyaient-ils ? Vous même, Monsieur, avez-vous toujours crû que la puissance temporelle, de la seule autorité, sans le concours de l’Église, pouvait supprimer des Évêques, en créer de nouveaux, dépouiller d’anciens Évêques de leur juridiction, la donner à de nouveaux Évêques, transformer des Métropolitains en des suffragants, des suffragants en des Métropolitains, départir, distribuer, diviser à son gré la juridiction des uns et des autres, ôter au Pape le droit dont il jouit dans l’univers catholique, de donner aux Évêques l’institution canonique, transférer ce droit à des Métropolitains, des Métropolitains à des Évêques inférieurs, éteindre tous les titres de bénéfices, anéantir toutes les Cathédrales, toute leur juridiction, investir de cette juridiction un nouveau corps d’Ecclésiastiques arbitrairement substitués aux antiques chapitres, introduire pour la nomination aux Évêchés une forme d’élection que la raison réprouve, que l’Église n’a jamais connue, attribuer au Peuple la nomination des Curés, dont le choix a toujours été spécialement réservé aux Évêques, soumettre la juridiction épiscopale à la volonté, aux délibérations d’un conseil de Prêtres ?

Nos Pères dans la foi croyaient-ils ? Vous même, avez-vous toujours crû que tous les Gouvernements Catholiques (car pourquoi toutes les Nations n’auraient-elles pas les droits de la Nation Française), pouvaient légitimement, quoique sans délit, sans aucun jugement canonique, destituer dans toute l’Église, tous les Pasteurs du premier ordre, tous les Pasteurs du second ordre, leur interdire toutes leurs fonctions, les exiler de tous leurs diocèses, de toutes leurs Paroisses ? Que des Évêques, mêmes non titulaires, pouvaient licitement exercer, dans tous les diocèses qu’ils voudraient, les fonctions épiscopales, y conférer les ordres, y consacrer des Évêques sans communion avec l’Église, sans mandat apostolique, sans permission de l’ordinaire, sans même lui en avoir donné avis ?

Quand vous fûtes ordonné Prêtre, pensiez-vous que vous pourriez prêcher et confesser sans l’autorisation de votre Évêque ? Quand vous avez été Curé, pensiez-vous que vous pourriez prendre pour vous aider dans votre ministère, un Prêtre non approuvé ? Quand vous m’avez vu Coadjuteur à Reims, pensiez-vous que je pouvais, sans la permission de mon Archevêque, malgré sa défense et ses réclamations, exercer les fonctions épiscopales dans le diocèse, gouverner les diocèse ? Si dès lors, Monsieur, vous étiez imbu de toutes ces erreurs, pensez-vous aujourd’hui que vous auriez été admis aux saints Ordres, que vous auriez obtenu les provisions de votre cure ; si en vous présentant aux examens et requérant votre visa, vous aviez manifesté des opinions aussi étranges, si vous aviez voulu vous pourvoir contre le refus auriez indubitablement essuyé, pensez-vous que votre appel eut été favorablement accueilli par aucun tribunal, devant lequel vous auriez hautement professé une pareille doctrine ?

Il y a deux ans, avant la convocation des États-Généreaux, vous n’auriez pu, Monsieur, publier ces sentiments, sans voir s’élever contre vous vos supérieurs, vos confrères, tout le diocèse, toute l’Église de France ; et vous les annoncez et vous les défendez avec sécurité ? L’Église a-t-elle donc une foi de chaque jour ? Une religion pour chaque circonstance ? Ne croit-elle plus aujourd’hui les Apôtres, ce qu’elle doit croire jusqu’à la consommation des siècles ?

Eh ! d’où vous sont venues vos nouvelles lumières ? De l’Assemblée nationale ? Ah ! Monsieur, quels Docteurs en matières religieuses ? Est-ce à l’Assemblée nationale qu’il a été dit, allez, enseignez, je suis avec vous ?

Vous n’ignorez pas, Monsieur, que tous les Évêques du Royaume rejettent la Constitution civile du Clergé ; que la plus grande, la plus éclairée, la plus vertueuses partie des Pasteurs secondaires refusent le scandaleux serment ; que le faculté de Théologie de Paris, cette École si célèbre par la pureté et l’exactitude de son enseignement, vient de déclarer sans son assemblée du premier de ce mois, qu’elle ne reconnaîtrait jamais d’autre Archevêque que M. de Juigné ; que le Souverain Pontife regarde cette Constitution comme l’amas et l’extrait de plusieurs hérésies, qu’il appelle des ministres rebelles, et les nouveaux Évêques et ceux qui oseraient les instituer.[2]

Ne deviez-vous pas à des autorités aussi importantes, une soumission et une obéissance provisoires ? Manquer à cette obéissance, dit saint Ambroise que vous citez c’est tomber dans l’orgueil, c’est abandonner la vérité.

Pour moi, Monsieur, je ne crains pas de m’égarer avec de pareils guides. Jésus-Christ leur a promis d’être avec eux jusqu’à la consommation des siècles. Ma foi est fondée sur cette pierre contre laquelle les efforts du schisme et de l’hérésie ne prévaudront jamais.

Puisse la voix unanime des premiers Pasteurs et du Chef de l’Église ne pas frapper en vain vos oreilles ! Puisse celui qui est la lumière du cœur et qui se communique à ceux dont il connaît la sincérité et la droiture, vous montrer le sentier de la vérité ; et pour vous rappeler à votre propre idée, puisse la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ détourner les suites funestes que votre terrible démarche peut avoir pour vous dans le temps et dans l’éternité !

J’ai l’honneur d’être avec des sentiments sincères,

                                   Monsieur,

                                   Votre, Ec.

 

       † Signé, L’ARCHEVÊQUE de Reims [3]


[1] Discours de M. Diot aux Électeurs.

[2] Voyez le bref du Pape du 23 Février 1791, à M. l’Archevêque de Sens.

[3] Archives Municipales de Reims : Carton 1024 ; Série P 5.

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