AD PERPETUAM REI MEMORIAM

Nicolas Diot
1744-1803

Portrait

De M. DIOT, Évêque
Constitutionnel du Département
de la Marne,
tracé par lui-même

 

Ou

Copie d’une lettre de ce digne Prélat, écrite de son humble retraite de Champigny, près Reims, à l’un de ses amis, dans laquelle il lui peint la situation de son âme, luttant contre le malheur, et appréciant, avec l’œil de la Religion, les biens et les honneurs de ce monde.

Ce petit écrit est un tableau dessiné des couleurs les plus fraîches et les plus vraies. On y remarque avec plaisir une touche fine, légère et agréable, qui peint au naturel l’âme, l’esprit et le cœur de l’Auteur. L’homme sans prévention y admirera le Prélat religieux, le philosophe chrétien, l’écrivain éloquent, le citoyen aimable, dont les grâces enjouées percent à travers les angoisses de la douleur, En le lisant, on se sent pénétré d'attendrissement et d'admiration pour l'homme rare que nous pleurons, et qui emporta trop tôt nos regrets amers et l’estime la mieux méritée.

Cette lettre précieuse est à nos yeux le meilleur Panégyrique qu'on puisse hasarder en l'honneur du défunt. Nous le dédions à tous les gens de bien ; il nous tarde de laisser parler l'auteur : écoutons-le.

* * * * *

Vous me demandez, mon ami, ce que je puis faire dans ma solitude. Je vais vous l'apprendre en deux mots ; rien, ou fort peu de choses : des prônes pour des villageois, quelques lettres pour mes affaires ou pour mes amis, beaucoup de lectures et de réflexions pour moi. Dans ma position, la ressource d'une philosophie chrétienne me devient chaque jour plus nécessaire. Les années s'amassent sur ma tête ; les infirmités viendront avec l'âge ; la misère est déjà arrivée ; l'espoir d'un meilleur sort est à peu près évanoui : c'est plus de matière qu'il n'en faut pour exercer sa raison et sa religion : c'est le cas de chercher en soi-même un bonheur qu'on ne peut plus trouver hors de soi. Heureusement, je rentre sans peine dans mon âme, parce que je la sens exempte de ces passions et de ces vices qui engendrent les remords, et dont l'homme devrait rougir, quant il n'en aurait d'autres témoins que les yeux de sa conscience. N'allez pas croire cependant que j'aie la ridicule prétention d'être sans défaut. Où n'en trouve-t-on pas dans ce monde ? L'astre du jour lui-même a ses taches. Je veux seulement dire que les miens sont de ceux qui n'empêchent pas de vivre en paix avec soi, parce qu'ils sont une suite naturelle de notre ignorance et de notre faiblesse. Combien je plains ceux qui en ont d'autres à se reprocher !

Si mon âme est pure, elle ne manque pas non plus d'une certaine industrie à se rendre heureuse. Par exemple, je n'ai point la gaucherie de reporter sans cesse mes regards sur la très courte durée de mon élévation inattendue, et de les rabaisser avec douleur sur ma situation présente : ce serait jouer à me trouver le plus infortuné des hommes. Je m'y prends avec plus d'art : j'examine le point d'où je suis parti, et celui où je suis revenu ; la distance de l'un à l'autre est si peu de chose, que ce n'est pas la peine d'y penser. Je suis né dans l'obscurité ; j'ai vécu dans la médiocrité ; j'y retombe aujourd'hui... c'est finir par où j'ai commencé : dois-je m'en désespérer ? Va-t-on se pendre, quand on se réveille les mains vides, après avoir rêvé que l'on avait trouvé des trésors ? Hé bien ! quelques jours brillants, semés par-ci par-là dans le cours de ma vie, ne sont à mes yeux que des songes agréables, qui en ont un peu égayé l'uniformité. Un beau jour d'automne me semble une image fidèle de ma carrière. Le soleil, à son lever, s’y dégage lentement et avec peine des humides brouillards qui enveloppent ses rayons; il brille un instant du plus grand éclat, et se replonge bientôt dans les nuages du couchant. La perte de quelques honneurs et d'un peu de fortune n'a donc pas entraîné celle de mon bonheur. Non, mon ami : dans la simplicité de mes goûts, elle m'a même rapproché de la félicité : et si ma modique pension, plus exactement payée, me rassurait contre la crainte du besoin, je ne voudrais troquer ma tranquille position contre celle de personne.

Est-ce là, direz-vous, cet ambitieux à qui ses ennemis reprochent d'avoir brigué le Siège constitutionnel de la Marne ? Je n'ai pas ignoré cette calomnie : mais bien assuré en scrutant le fond de mon âme, que jamais une telle ambition n'en avait effleuré la superficie, j'ai toujours dédaigné d'y répondre. Que d'autres occasions j'aurais eues de prendre un certain essor, si la gloire ou la fortune eussent été capables de me tenter ! Vous savez cependant que je m'y suis opiniâtrement refusé. Le repos de la solitude me paraissait bien préférable à l'agitation des places. Si je me suis prononcé nettement en faveur de la révolution, c'est parce qu’elle m’a paru juste, nécessaire et avantageuse au peuple sous une multitude de rapports, (et je ne pouvais point en prévoir les monstrueux écarts) ; mais ça toujours été sans le moindre désir d'y jouer un rôle. Je fus plus effrayé que flatté en apprenant mon élection ; et le consentement que j'y donnai fut moins obtenu que surpris. Je vous dirai quelque chose de plus ; et cette particularité pourra vous servir à expliquer mon indifférence à reparaître à mon poste. Dans ces jours d'enthousiasme, où la faveur populaire m'élevait aux nues, où quelques vapeurs d'amour-propre auraient pu se porter à mon cerveau, la représentation à laquelle, m'obligeait ma dignité m'était à charge ; je regrettais l'obscurité paisible de ma retraite ; et je songeais dès lors aux moyens d'y rentrer un jour. J'eusse bientôt brisé tous mes liens, si mon esclavage n'eût été adouci par la certitude de faire un peu de bien. Si je n'en ai pas fait d'avantage, je m'en console aujourd'hui, parce que la bonne volonté m'a toujours moins manqué que les moyens. La bienfaisance est une heureuse habitude de l'âme : elle ne peut plus ouvrir mes mains ; mais elle sera toujours dans mon cœur. Avec moins de sensibilité que je n'en ai eu pour les malheureux, j'aurais à présent moins d'inquiétude sur mon existence personnelle. En serais-je plus heureux ? je ne le crois pas. Pour une âme honnête et chrétienne, l’indigence est moins cruelle que les remords.

Lorsqu'il était de mode de parler de moi en bien ou en mal, chacun s'est mêlé de me peindre d'après ses préventions : la vérité est que tous ces peintres, ne travaillant que d'idée, aucun d'eux n'a saisi ma ressemblance. Je n'étais ni l'être merveilleux que déifiaient ses partisans, ni l'être méprisable sur lequel s'acharnaient ses ennemis. J'étais tout simplement un honnête homme que la Providence avait mis sur le chandelier, et qui n'était pas au-dessous de sa place. Pour réduire à leur juste valeur toutes ces exagérations plus ou moins favorables qu'on s'est permises sur mon compte ; pour rectifier les jugements aussi bizarres qu'opposés, qui ont été faits de moi, je suis tenté de vous tracer moi-même mon portrait. Je me dois connaître mieux qu'un autre : il y a si longtemps que je m'étudie ! D'ailleurs, aurais-je la fatuité de prétendre vous en imposer, à vous, dont la perspicacité sait si bien se défendre de toute illusion ?

Commençons par les qualités du cœur : ce sont toujours les plus essentielles. Il ne dépend pas de nous d'avoir les talents de l'esprit : il en dépend jusqu’à un certain point de n'avoir pas les vices du cœur. Le mien est naturellement bon, sensible, droit, honnête ; mais froid, peu susceptible de violentes émotions. Il ne se passionne pour rien ; ne s’affecte vivement ni des biens ni des maux, surtout de ceux qui lui sont personnels ; il ne trouble jamais ma tête, et la mène encore moins. Cette espèce d'apathie tient à une certaine paresse de l'âme, qui tend sans cesse vers le repos, et que fatigueraient trop les secousses des passions. Aussi ne puis-je me rappeler d'avoir jamais éprouvé un accès de colère bien caractérisé, quoique je suis naturellement vif et impatient de toute contradiction qui ne me parait pas raisonnable. Je ne me souviens pas d'avantage d'avoir haï personne ; je me crois même incapable de haine. En effet, la haine a quelque chose de trop actif pour moi ; elle remue l'âme, la tourmente, la fatigue ; elle doit être pénible pour celui qui la ressent; elle troublerait ma sérénité. Le mépris est plus froid : c'est plutôt un jugement de l'esprit qu'un mouvement du cœur. Sous ce rapport il me coûte moins ; et je ne l'épargne pas à ceux que je crois le mériter.

Ce calme habituel de mon âme, cette espèce d'équilibre où elle se plaît, influent beaucoup sur mon caractère. Doux, liant, facile et sûr, égal, peu exigeant, il s'accommode assez de tout dans la société, se prête sans efforts aux idées des autres, ne choque point leur manie, quelque ridicule qu'elle puisse être, n'est jaloux que de leur bienveillance, est toujours prêt à leur accorder la sienne. Cent fois j'ai été dupe de cette légèreté à donner ma confiance, et je ne m'en corrige pas, parce que j'ai le bonheur de croire à la probité.

La bonhomie dont je me fais honneur aujourd'hui, est un peu l'ouvrage de ma raison. Vous savez que j'ai le talent de saisir au mieux les travers, et que, d'une humeur vive et enjouée, je ne serais pas embarrassé à les rendre de la manière la plus piquante. Depuis la connaissance de mes propres défauts m'a appris à ménager ceux des autres, je me contente de les voir en observateur, et je me garde bien de me livrer à toute la vivacité de mon enjouement. Dans ma jeunesse, c'était autre chose : point de quartier pour les ridicules. Je les peignais comme ils m'avaient frappés ; et je chargeais encore leurs portraits de toutes les couleurs que pouvait leur prêter une imagination vive, féconde, et singulièrement gaie. On s'amusait de ces caricatures, on les encourageait ; mais on les redoutait pour soi-même. Un ami sensé m'en fit la réflexion. Je lui sus gré de m'avoir éclairé sur un défaut qui en valait bien un autre. Je n'étais pas curieux de passer pour un fléau de société ; et pour y figurer, je n'en étais pas réduit à m’y travestir en Arétin. Je renonçai donc de bonne foi à tout ce persiflage, où d'ailleurs il entrait moins de méchanceté que d'étourderie ; et l'on peut être avec moi. fat et impertinent tout à son aise, sans avoir à craindre ma critique. Puisque j'ai commencé à vous parler de mon esprit, je veux continuer de vous dire naïvement ce que j'en pense. C'est encore un article, sur lequel amis et ennemis m'ont jugé tout de travers. Les uns séduits par leur amitié m'accordaient libéralement les honneurs du génie ; les autres, n'écoutant que leur aversion, avaient presque pitié de ma bêtise et de mon ignorance. Selon mes adulateurs, il eût fallu, pour quelques phrases heureuses, arracher à Bossuet le sceptre de l'éloquence, à Racine celui de la poésie, pour quelques vers de société ; selon mes détracteurs, j'étais à peine capable de rien écrire qui eût le sens commun. Que penser de ces jugements contradictoires ? Basse flagornerie d'une part, aveugle prévention de l'autre, excès des deux côtés. Sans avoir de prétentions au génie, je suis, loin d'être un sot ; et sans mettre l'enseigne de savant, je ne suis pas non plus dépourvu de connaissances, surtout de celles qu'exige mon état. Sur quelque matière que j'aie eu à écrire ou à discourir, je n'ai jamais eu besoin d'emprunter l'esprit de personne ; et je défie les vivants et les morts de réclamer dans mes compositions aucune phrase que je leur aie volée.

Je n'ai jamais ambitionné les honneurs de l’impression, et la plupart de mes productions littéraires dorment encore dans mon portefeuille. Cependant que l'on examine sans partialité le peu que les circonstances m'ont forcé de mettre au jour, on y verra de la justesse et de la netteté dans les idées, de l'ordre et de la précision dans les raisonnements, de la propreté, de l'élégance et de la dignité dans les expressions : on y verra même de la chaleur, de l'énergie, de l'élévation, lorsque les matières que je traitais en ont été susceptibles ; enfin, on y verra partout du goût et de la facilité, souvent de la finesse, et quelque fois de l'invention. Si l'on n'y trouve pas de ces concetti puérils, de ces bluets phosphoriques, de ces élans convulsifs, que nos orateurs de tribune ont mis si fort à la mode depuis quelques années, c'est que tout ce fracas de fausse éloquence me parait détestable ; c'est que j'aime par dessus tout le vrai et le naturel ; c'est que ce qui s'en éloigne, quelque éblouissant qu’on le suppose, ne me semble plus qu'un pompeux galimatias. Non qu'il faille toujours être froid et méthodique : une composition sèche et décharnée qui, dans sa forme didactique, aurait l'air d'une thèse de théologie, ne me plairait pas davantage que la bouffissure d'une amplification de rhétorique. Je veux dire seulement qu'à quelque hauteur qu’on s'élève dans le discours, à quelque chaleur qu'on s'y abandonne, il ne faut jamais sortir des bornes de la belle nature. On doit alors imiter le sculpteur, qui, en taillant une statue colossale, a soin de conserver la justesse des proportions. C'est l'avantage que les bons écrivains du dernier siècle me semblent avoir sur la plupart des rhéteurs du nôtre. Toujours maîtres, de leurs matières, les premiers la manient avec aisance, ne disent que ce qu'ils veulent, s'élèvent ou s'abaissent à leur gré, prennent quelque fois, l'essor le plus sublime, et restent sages jusque dans leurs plus grands écarts. C'est le beau Saint Michel de Raphaël, qui a l'air de se jouer du serpent infernal, en le foulant aux pieds, ou en le perçant de sa lance. Tel est Corneille dans ses belles tragédies, Bossuet dans son discours sur l'histoire universelle, et dans ses oraisons funèbres, Pascal dans sa provinciale sur la nécessité d'aimer Dieu ; tels sont tant d'autres dans leurs diverses productions. Nos modernes au contraire semblent emportés malgré eux par le tourbillon de leurs idées ou par l'impétuosité de leurs passions. Nulle ordonnance dans leurs discours, nulle justesse dans pensées, nulle suite dans leurs raisonnements, nulle harmonie dans leurs expressions, tout marche au hasard par bonds, par saccades. Ce sont des aéronautes sans expérience, qui une fois lancés dans le vague des airs, y flottent sans direction et sans boussole, et sont entraînés tour à tour par la violence des courants qu'ils rencontrent.

Frappé de cette décadence du goût, qui fait chaque jour de plus funestes progrès, je m'attache à la belle simplicité de nos aïeux, et je tâche de former mon style sur celui de ces excellents modèles. J'ai donc soin en écrivant de réprimer ces fouges d'imagination, dont s'émerveillent les sots, et qui font lever les épaules aux hommes de goût ; et je prends pour règle cette maxime dit sage Déspréaux :

Rien de beau que le vrai ; le vrai seul est aimable.

C’est cet amour du vrai, c'est cette crainte de sortir du naturel, qui, poussés peut-être trop loin, estropient ma déclamation. Avec un organe juste, sans être fort, avec une oreille très sensible à l'harmonie, avec une figure sur laquelle se peignent assez facilement tous les mouvements de mon âme, je sens que je déclamerais à merveille, si je n'avais pas de bras : mais à peine osé-je les remuer, de peur qu'ils ne fassent quelque contresens, et ne se mettent en discordance avec le son de ma voix et le jeu de ma physionomie. Disons même le fin mot : c'est que selon moi, tout ce vacarme, cette agitation perpétuelle, que se permettent dans la chair les orateurs chrétiens, s'ils ne sont tout à fait déplacés, sont au moins d'une faible ressource pour persuader à leurs auditeurs les sublimes vérités de leur religion.

Quoiqu'il en soit de mes principes sur les ouvrages d'esprit et de ma manière de les appliquer en composant, on ne jugera jamais bien de ce que je puis valoir dans la société, si l'on ne m'a entendu converser avec des personnes instruites sur quelque matière intéressante. C'est dans une discussion vive et rapide que ma tête s'électrise, que mes idées pétillent, étincellent, que mon imagination magique les colorie et les présente sous les formes les plus heureuses, et je peins plutôt que je ne parle. Mais j'avouerai avec la même franchise que l'honneur du succès ne m'appartient pas tout entier, et que mon esprit doit beaucoup à celui des autres. Car, que je sois condamné à causer avec un sot, sa sottise dévient épidermique pour moi : sa pesanteur engourdit ma vivacité ; il me paralyse ; il tue les idées dans ma tête et les expressions sur ma langue ; il me rend aussi sot que lui.

Ceci me rappelle une aventure assez plaisante qui m'arriva lorsque j'allais dans le monde. Un jour, dans un cercle nombreux, sur ma réputation d'homme d'esprit, une femme qui n'en manquait pas, et qui croyait en avoir encore davantage, fut curieuse de causer avec moi. Sans doute, elle voulut d’abord m'éblouir et me donner la plus haute opinion de ses connaissances. La voilà donc qui prend un vol à perte de vue ; la voilà qui va se guinder dans, les nues, et delà me jette toute sa science à la tête. C'était une .sophistiquerie, à désorienter un marquis de Bièvre. J'écoutais, yeux ouverts et bouche béante, ne sachant comment me tirer de ce charivari. Je cherchais ce qu'elle voulait dire ; et elle aurait fort bien pu le chercher elle-même. Enfin excédée de ne pouvoir rien tirer de moi, et s'applaudissant peut-être de m'avoir rendu muet, elle me tourne le dos avec dédain, s'approche d'une table de jeu, et dit assez haut que cet abbé Diot si merveilleux n'était qu'un sot. On lui rit au nez ; cependant il est sûr qu'elle avait raison pour le moment. Car jamais je n'avais éprouvé une pareille stérilité. Mais à quoi tout cela se réduisait-il ? Elle m'avait ennuyé je le lui avais rendu : nous, étions à peu près quittes. Un instant après on annonça l'abbé de Manrous. Vous savez quels étaient le feu, le naturel, la gaieté, la finesse, la variété de ses idées. Nous nous mîmes à causer ensemble. Il avança un paradoxe sur lequel je l'entrepris. Il soutint sa thèse ; je le poussai ; la dispute s'échauffa : malgré son adresse à parer les coups que je lui portais, mon gascon s'enferra, et je le serrai de si près qu'il fut obligé de rendre les armes. Il se tira d'affaire par une ruse de son pays, en disant qu'il avait voulu se ménager le plaisir de voir briller mon esprit. Nous parlions fort haut : l'objet de la discussion étant intéressant ; et tous nos joueurs avaient posé leurs cartes pour attendre le résultat. Chacun me cria Bravo. Mon triomphe fut complet ; et jamais femme ne fut plus stupéfiée que ma savante, en voyant son prétendu sot montrer autant d'esprit. Elle eût volontiers dit comme un auteur de nos jours :

Mon âne parle, et même il parle bien !

Pour moi, je ne serais pas surpris que beaucoup de gens ne fussent tombés sur mon compte dans la même méprise que cette femme. Car les hommes instruits ne forment pas le plus grand nombre ; leur estime est la seule que j’ambitionne ; et je ne me mets pas ordinairement en frais pour en inspirer aux autres.

Cette lettre, mon ami, vous sera une preuve du prix que j'attache à la vôtre, et du désir qui ne mourra qu'avec moi de cultiver votre amitié. D.

Nota :. Une personne avait l'intention de consacrer à la mémoire de M. DIOT l'épitaphe suivante ; mais ayant eu connaissance de la lettre qu'on vient de lire, elle s'est persuadée que ce petit écrit remplaçait avec avantage tout ce qui pourrait sortir d'une main étrangère.

Ici se situe un "rêve" qui n'aurais jamais pu se réaliser : une stèle monumentale au cimetière du Nord à Reims, en hommage à "Monseigneur Diot", et qui plus est, devant ou à côté de la chapelle de la Sainte-Croix...

Rien que le teneur du texte semble à lui seule "prohibitive"...

 

Épitaphe

 

Passant, arrêtez-vous ; vous foulez une terre qui renferme
De précieuses dépouilles.

Repose au pied de ces degrés, sous l’humble gazon,
Un Prélat d’heureuse mémoire,
Nicolas Diot.

Il eut des Apôtres l’édifiante simplicité,
Bien digne sans doute de voir des jours plus heureux.

Il naquit en cette cité :
Si la fortune l’a peu favorisé,
Le Ciel en revanche, lui donna un cœur noble,
Et la main de la nature l’a comblé de ses plus riches dons :
Où trouver plus d’esprit et de connaissances en tout genre ?

Cœurs droits et sensibles, pourriez-vous refuser
À sa tombe quelques larmes ?

Il n’a jamais cessé d’enseigner la saine doctrine.

Ses paroles coulaient de sa bouche
Comme une douce rosée ;
Et son éloquence frappant les oreilles par des sons mélodieux,
Captivait les cœurs :
De sa bouche d’or sortaient, comme des pluies salutaires,
Les oracles de la sagesse :
Vous eussiez dit un autre Fénelon.

Que dirons-nous de plus à sa gloire ?

Il avait le plus heureux naturel :
Ses grâces enjouées faisaient le charme de la société,
Qui jamais a mis plus d’esprit
Dans ses reparties toujours vives et légères ?

Quoique souvent déchiré, la gaieté, le doux sourire,
Reposait toujours sur ses lèvres.

Mais ô douleur !

Un chagrin secret, qui le minait sourdement,
Lui donna la mort avant l’âge :
Il a succombé sous les coups de ce poison
Que les langues vipères, en imposant leurs morsures fatales,
Lui ont fait boire à longs traits.

Quelques fautes, hélas !
Ont été arrachées à la faiblesses humaine,
Mais que de larmes elles lui ont coûté.

Il est de l’homme de tomber ;
Mais il est du grand homme de se relever comme il l’a fait.

La pourpre sacrée le décora peu de temps ;
L’envie, à la dent venimeuse, ne se lassa point de le poursuivre ;
Mais malgré ses efforts ténébreux,
Ce pieux Prélat passera à la postérité,
Également anobli
Par la gloire des talents et des plus belles vertus.

 

Il est mort le 31 décembre, l’an de J. C.
1802, le 10 nivôse de l’an 11 de la République, dans la 29e année de son âge.

 

DIEU lui fasse, à jamais,
Savourer les douceurs d’une ineffable paix.

 

Il y eut un autre projet d'épitaphe qui, tout comme le premier ne vit jamais le jour, et pour caude...

 

Épitaphe

 

Ci gît

NICOLAS DIOT

Dernier successeur de saint Rémi
Dans le diocèse de Reims;

Il fut un des premiers
Par ses vertus chrétiennes et morales
et par les éminentes qualités
qui ont illustré son pontificat;

Élevé à cette dignité
par les suffrages de ses diocésains
Il en fut la gloire;

Humble par la naissance
Modeste au sein des grandeurs
Cette sépulture
rappelle la simplicité de sa vie
son souvenir ne s'effacera jamais

 

Malheureusement pour lui, la dite sépulture ne rappelle rien à personne, car on ignore son emplacement exacte. Nous pensons qu'elle se trouve devant la chapelle Sainte-Croix, tout près de l'entrée de la vieille nécropole, mais cela reste une hypothèse et en aucun cas une certitude, malgré les recherches effectués pour en connaître l'emplacement qui lui fut réservé. (Le Conservateur)

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