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NOTICE
sur
L'ABBÉ P.-N. Anot
Chanoine titulaire de
l'Église métropolitaine de Reims,
Théologal, Grand Pénitencier, Docteur en Droit, etc.
PAR
L'ABBÉ CHarles CERF
Parmi les prêtres,
défenseurs de la foi, qui durent quitter la ville de Reims et s'exiler
au moment de la tourmente révolutionnaire, il en est un, M. l'abbé Anot,
qui, par ses travaux littéraires et ses vertus, illustra l’Université et
le clergé de cette cité. Il y a laissé un tel souvenir de bienfaisance
que l’on n'a pas cru trop faire en donnant son nom à une des rues de la
ville.
S’il vivait encore,
l’académie serait heureuse de lui ouvrir ses portes. Il n'est plus. Sa
biographie, du moins, ne pourrait-elle pas être placée au milieu de
celles qui enrichissent les annales de la docte société ?
Pierre-Nicolas
Anot est né à Saint-Germainmont, canton d’Asfeld, le 21 juin 1763, et
non pas 1762, comme l’ont répété ses biographies. Il était le troisième
des six enfants que Pierre Baptiste Anot et Marie-Louise Petit-Frère,
eurent de 1760 à 1768, comme le prouvent les registres de baptême
conservés dans la commune
. Son
père, qui était de Signy-l’Abbaye, ainsi que sa mère, vint à
Saint-Germainmont vers 1760, en qualité d'instituteur. Sa mémoire y vit
encore. Il eut pour successeurs son fils et son petit-fils, mort à l’âge
de quatre-vingt-trois ans, au mois de mai
dernier.
Pierre-Nicolas Anot fit ses
études au Collège de Reims ; il y remporta de continuels succès. « Je le
vois encore, dit M. l’abbé Maquart, son panégyriste, je le vois courbé
sur ses livres ou les yeux attachés sur son maître »
. Il
entra dans les 0rdres, reçut le diaconat le 10 juin 1786
et la
prêtrise, sans doute, la même année, ou au commencement de l’année
suivante, où il fut nommé sous-principal du Collège
. Il
en remplit les fonctions jusqu'au montent de la Révolution. Il figure en
1790 dans la liste des trente docteurs régents de la Faculté de
théologie de l’Université
, qui
avait à ce moment pour recteur M. l'abbé Paquot, le curé de Saint-Jean
massacré à Reims en septembre 1792.
En 1791, les prêtres de
Reims reçoivent l’ordre de prêter le serment civique, cinq seulement se
soumettent. Le rédacteur de la Correspondance s'en indigne et
reproche à la municipalité de punir ceux qui insultent le clergé,
lorsque celui-ci est en révolte ouverte contre les lois du pays :
On pend les fripons en
guenille,
L'on invite à souper les brigands en satin.
Tous les ecclésiastiques de
l’Université de Reims refusèrent de prêter ce serment ; ils se
séparèrent et le Collège fut laïcisé. M. l'abbé Anot, le 29 octobre de
cette année, accepte la proposition que lui fait M. Malfillâtre, de
continuer l'éducation de son fils
, qui
venait de terminer sa cinquième au Collège. « Ce qui me détermine,
écrit-il à M. Malfillâtre, c'est. la parfaite inutilité dans laquelle je
vis depuis quelque temps. Je suis hors de mon élément, notre Collège est
fermé pour moi... Assoupi aujourd'hui dans une oisiveté involontaire, je
me sens accablé du poids de ma situation. Je pars, et dans peu j'espère
être auprès de vous à Anvers »
.
Il part en effet quelques
jours après. De Namur, il écrit à Reims, à sa mère, le 18 novembre :
« Vous avez vu couler mes larmes, et je voyais couler les vôtres au
moment que je vous faisais mes adieux et que vous les receviez avec une
sensibilité qui fléchirait mon cœur, mon cœur qui n'est pas encore guéri
de la secousse qu'il a essuyé. Je vais me fixer à Anvers. »
Il y
séjourna pondant une année ; desservit la chapelle des Carmélites et vit
arriver dans ce couvent les Carmélites chassées de Reims, en septembre
1792
.
Bien à regret, il quitte
cette ville le 16 novembre 1792. « Le 10, à six heures du matin, dit-il,
je dormais profondément, je me sens secouer assez rudement pour
m'éveiller en sursaut. .J'ouvre des yeux pleins de sommeil et je vois
notre ami Malfillâtre, qui me dit, avec le ton moqueur qu'on lui
connaît : Alerte, l'ennemi approché. » Les Français, commandés par
Dumouriez, s'avançaient sur Mons.
Nous retrouvons M. Anot à
Ratisbonne, avec son élève, vers la fin de l'année 1794. Tous deux
quittent cette ville, le 16 juillet 1795, comme nous l’apprend une
lettre de M. Anot
, à
Mme Malfillâtre, à laquelle il annonce qu'ils vont entreprendre un
lointain voyage. Il lui recommande de ne pas s'en inquiéter. Ce
changement sera très avantageux pour son fils et ils sont munis des plus
puissantes recommandations.
Quand ils quittèrent
Ratisbonne, ils avaient déjà « parcouru les plaines de la Belgique,
visité les ports de la Hollande, traversé les déserts de la Westphalie,
franchi les monts de la Hesse et de la Bohème. Ils désiraient vivement,
disaient-ils, se transporter en Italie et delà à Malte pour le double
motif de voir des pays si propres à piquer la curiosité et de trouver,
dans le chef-lieu d'un Ordre célèbre, un repos que les orages de ces
temps désastreux rendaient infiniment précieux. »
Au commencement du mois
d’août de l'année 1795, les deux voyageurs arrivent à Venise : six
semaines après, ils entrent à Malte. Ils quittent l’île en juin 1798 et
après dix-huit jours de navigation ils sont au Lazareth de Livourne. À
leur départ de Malte, ils étaient munis du passeport suivant, portant la
signature d'Alexandre Berthier :
« Les autorités civiles,
les officiers commandant soit les forces de terre, soit les forces de
mer, les armées Françaises laisseront librement passer et donneront
protection à M. Malfillâtre de Reims, département de la Marne,
Conventuel de l’0rdre de Saint-Jean de Jérusalem, partant de l’île de
Malte, pour se rendre à Livourne, avec son précepteur M. P.-N. Anot et
leurs effets
.
Alex. BERTHIER,
Chef De l’État-Major de l’Armée. »
Le 20 juin 1799, M.
Malfillâtre écrit à sa mère, de Ratisbonne : « J’attends les signatures
des deux Ministres sans lesquelles mon retour à Reims est impossible. »
Les a-t-il obtenues ? Il est permis d'en douter, car au mois d'avril
1800, M. Anot et M. Malfillâtre sont encore à Berlin. L'élève, à cette
époque, quitte son précepteur pour aller passer quelques mois en
Pologne, sur l'invitation de la comtesse de Keyserling.
Après plusieurs mois
d'absence, M. Malfillâtre vient retrouver son précepteur à Berlin. Il
écrit alors à sa sœur, à Reims, le 18 décembre 1801, et lui annonce son
retour prochain. Le 20 mai 1802, dans une lettre de Reims, il presse M.
Anot de revenir.
M. l'abbé Anot rentre à
Reims, à la fin de l'année 1802
. Il
trouve son logement tout préparé chez les parents de son élève, qui
demeuraient alors dans la rue du Corbeau, à la maison même du Corbeau
. Il
est nommé vicaire de la Cathédrale : et son nom figure
comme tel pour la première fois dans un acte de baptême du 25 août de
cette année.
Ses nouvelles et nombreuses
occupations ne l'empêchent cependant pas de publier en 1803
une
relation de ses voyages dans les pays étrangers. Cet essai, en deux
volumes, auquel avait travaillé M. l'abbé Malfillâtre, fut couronné de
succès et suivi d’autres ouvrages sur l’Histoire, généralement
appréciés. En 1816, il édite les Annales du Monde, et de 1817 à
1822, le Tableau de l’Histoire Universelle, en six volumes
.
M. l'abbé Anot avait une
facilité prodigieuse de travail ; toutefois, il passait une partie des
nuits à composer ses ouvrages ; afin de donner toute la journée à son
saint ministère, aux malheureux qu'il consolait, aux pauvres qu'il
assistait de ses propres revenus, aux prisonniers dont il était
l'aumônier, ou plutôt le père. Direction, catéchismes, visites aux
malades, instructions nombreuses, œuvres de charité, il embrassait tout
et ne négligeait rien.
Le zélé vicaire, à certains
jours, préparait avec plus de soin les sermons de circonstance qu'il
était chargé de donner. On y trouve du feu, de l’âme, de la logique,
d'heureuses citations, mais peut-être trop d’antithèses. La peinture
qu'il fait des mœurs prouve qu'il connaissait parfaitement le cœur
humain. Le zèle qu'il mettait à confondre les méchants était toujours
tempéré par la charité la plus compatissante. Il manquait à l'orateur,
pour être parfait, une voix sonore, et plus de grâce extérieure. Le
portrait lithographié que l'on possède de lui accuse en effet un peu de
raideur dans le maintien.
Les qualités oratoires de
M. l'abbé Anot, et son grand amour des âmes, déterminèrent Mgr de Coucy
à lui confier la direction de l’Association de l’œuvre de la
Providence, fondée le 1er mars1821. Il prononça un
premier discours devant l’Assemblée du 14 mars suivant, et donna le
dernier deux mois avant sa mort, le 4 septembre 1823. Son sujet était :
la Providence arrête ses regards sur cet infiniment petit que l’on
appelle le monde
.
Quand, après bien des
difficultés, l’Église de Reims fut remise en honneur, Mgr de Coucy prit
possession du siège de saint Rémi. Le Chapitre fut reconstitué par
ordonnance du 15 octobre 1821
.
Parmi les nouveaux chanoines figure M. l’abbé Anot, vicaire de la
Cathédrale
,
nommé théologal, grand pénitencier et sous-chantre. L’installation des
dignitaires et des chanoines se fit le 8 janvier 1822, par Monseigneur
lui-même. M. Anot occupa la troisième stalle du chœur, à gauche ; stalle
autrefois réservée au trésorier
. Le
nouveau chanoine ne devait pas jouir longtemps de l’honneur mérité qu'il
venait de recevoir. Les fatigues de son ministère, ses travaux
scientifiques, altérèrent sensiblement sa santé. Après deux mois de
souffrances, il expira le 21 octobre 1823
;
aimé, chéri, respecté de tous, autant par ses vertus éminentes que par
l'aménité de son caractère et son grand esprit chrétien.
Ses obsèques eurent lieu le
22 octobre, à quatre heures de l'après-midi, selon l'ancien usage
.
L'assistance était nombreuse ; les prisonniers, chose remarquable,
avaient obtenu comme une faveur d'assister à cet enterrement, les mains
liées. Le corps fut déposé dans le grand cimetière du Nord, à gauche, en
entrant, à quelques mètres de la grille, un peu plus loin que le P.
Engrand, bénédictin
, au
fond.
Sur sa pierre tumulaire on
lit (ou plutôt on pouvait lire):
À LA MÉMOIRE
DE
PIERRE-NICOLAS ANOT,
CHANOINE DE L'ÉGLISE DE RHEIMS,
M0RT LE 21 OCTOBRE 1823.
IL FUT LE PÈRE DES PAUVRES,
LE CONSOLATEUR DES PRISONNIERS,
L'AMI DES MALHEUREUX.
Ces quelques lignes,
gravées au lendemain de la mort de M. Anot, disent suffisamment l'estime
que l'on faisait de ce saint prêtre. Toutefois, pour compléter sa
notice, nous donnons un résumé des discours qui furent prononcés après
sa mort : ils appartiennent à l'histoire.
Le jeudi 6 novembre 1823,
le vice-secrétaire de l'Association de la Providence, au nom des
associés, rend un hommage public à la mémoire de M. l'abbé Anot, leur
ancien directeur
.
Quelques jours après, le 13
novembre, au nom de Mgr l'Archevêque, du clergé, des fidèles, et des
Associés de la Providence, M. l'abbé Maquart prononce l'éloge du
défunt... Il faudrait reproduire ici en entier ce remarquable discours,
mais les bornes de cette notice ne le permettent pas :
« M. Anot, dit l'orateur,
par un art admirable, a su échapper aux traits de la malignité...
personne n'a jamais parlé mal de lui...
... En sa faveur, au
contraire, s'éleva un concert de louanges, de tous les points de la
ville et du diocèse.
Le premier pasteur, à son
avènement, s'empresse de le combler de titres, d'honneurs, et de marques
particulières de sa bienveillance : le clergé applaudit, les fidèles
s'en réjouissent.
Doué d'une mémoire
prodigieuse, il a tout étudié, il a tout appris, il a tout approfondi,
il n'a rien oublié.
... Dans ses voyages, il
sut recueillir plus dans sa mémoire que dans ses livres.
En parcourant ses nombreux
ouvrages, pleins d'érudition, on se demande comment un homme absorbé par
les exigences d'un ministère de tous les jours a su trouver le moyen de
les éditer et de composer également des discours variés et nombreux.
M. Anot a commandé
l'admiration : il a obtenu la confiance par la bonté, qui était la
première qualité de son coeur.
Oh ! que cet homme a bien
rempli son devoir, et combien de devoirs ! » L'orateur les énumère tous
et s'écrie : « Est-ce d'un seul homme que je parle ou de plusieurs ?
Que dire de son amour pour
les prisonniers ? Dans les cachots, M. Anot ne montre plus de la bonté
seulement, c'est l'héroïsme de la charité ; c'est le triomphe de la
religion. »
L'amitié de l'orateur l'a
sans doute entraîné à jeter quelques fleurs brillantes et factices sur
la tombe de celui qu'il appelait son père ?
.
Non : pour s'en convaincre, il suffit de rappeler ici quelques-unes des
paroles si nobles et si chaleureuses d'un Président des Assises, de M.
Sanégon, ouvrant la session de novembre 1823 : « ... Il n'est plus, ce
consolateur des prisonniers, ce vénérable abbé Anot, qui, disciple, et
pour ainsi dire émule de saint Vincent de Paul, avait choisi la plus
rigoureuse des infortunes humaines, pour la consoler et l'adoucir.
C'est par lui, c'est par
cet ange des prisons, que tous les genres de consolations descendaient
dans ces tristes asiles de la douleur, du remords, et quelquefois du
désespoir.
L'abbé Anot savait
retrancher de son existence, même pour subvenir aux besoins des
prisonniers... Il allait jusqu'à abandonner ses vêtements
à
ceux qui l'entouraient.
Jamais on ne pourra
calculer l'immense service que cet homme généreux a rendu à la
société... que de bouches accoutumées au blasphème ont appris de lui à
bénir Dieu.
Vous me pardonnerez,
MM. les Jurés, d'avoir, un instant, différé l'exercice de vos fonctions
et des nôtres, pour vous entretenir d'un prêtre si digne de regrets. »
NOTES
ouvrages
de M.l'abbé Anot
I. – Les deux voyageurs
ou Lettres, sur la Belgique, la Hollande, la Pologne, la Prusse,
l'Italie, la Sicile et Malte, écrites selon l'ordre des temps...
Paris, Blanchon, 1801, 2 vol. in-12, avec la coopération de M. F.
Malfillâtre. (1803 et non 1801, puisque l'ouvrage va jusqu'en 1802.)
II. – 0raison funèbre de
Louis XVI, Reims, Brigot, 1814, in-1°.
III. – Annales du monde ou
Tableaux qui présentent :
1° La naissance, le
progrès, les révolutions, et le démembrement des empires et la date du
règne des souverains jusque l'an 18.16 ;
2° Le temps où ont vécu les
hommes les plus célèbres ;
3° Un précis des principaux
faits qui appartiennent à l'histoire des empires : Paris, Égron, 18.16,
un volume in-8°, p. 36.
C'est une réimpression,
avec des augmentations considérables, du Guide de l'Histoire on
Annales du monde, depuis la dispersion des peuples jusqu'en I801.
IV. – Tableau de
l’Histoire universelle, ouvrage qui sert de texte et de
développement aux Annales du monde ou Tableaux chronologiques.
Paris, ibid., 1817 à .1811, six volumes in-12.
V. – Discours prononcés
dans les assemblées de l’Association de la Providence,
établie à Reims... Reims, Delaunois, deux ou trois volumes in-12.
Plusieurs de ses discours
ont été publiés en 1811, 22 et 23.
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