AD PERPETUAM REI MEMORIAM

Histoire de l'Église de Reims

La naissance de Reims

Partant du principe qu'il faut accorder un crédit certain aux érudits et experts qui se sont penchés sur la question de l'évolution de la civilisation des peuples habitant la Gaule et plus particulièrement notre région rémoise, « on peut affirmer hardiment que la civilisation était déjà très avancée dans la Gaule avant l'arrivée des légions romaines. » [1] En effet, « une foule de découvertes archéologiques qui ont éclairé d'un jour tout nouveau ces périodes éloignées de notre histoire » [2], le prouve.

Des peuples venus d'outre Rhin, s'établirent dans la Gaule, non pas en une seule fois; mais à la suite de migrations importantes et plutôt successives.

Ces peuples, venus des pays froids du nord, cherchèrent, en premier lieu, à gagner les pleines ensoleillées du midi de la Gaule. Certains, les premiers arrivants, y réussirent.

Les Belges, l'une des dernières peuplades à tenter cette expédition, ne purent aller bien loin à l'intérieur du pays convoité, car leurs devanciers les en empêchèrent. Alors, ils se contentèrent de la région qui s'étend des Ardennes aux vallées de la Somme, en passant par l'Aisne, la Meuse et la Moselle; pour simplifier: entre les cours de la Marne et de la Seine.

Il est à peu près certain que cette invasion eut lieu vers l'an 300 avant J.-C., comme il semble aussi certain qu'aucune autre arrivée massive de peuples venant d'ailleurs, soit à signaler, avant l'arrivée des romains.

L'arrivée de ces Belges dans notre région, marque donc le point de départ de l'histoire régionale et, en particulier, de notre cité.

Ce sont ces Belges qui, « après 200, envahirent les îles Britanniques et par la mer également les côtes normandes et bretonnes de la France. » [3]

Il faut donc retenir que le peuple belge était belliqueux et conquérant, et que malgré l'impossibilité de s'installer plus au sud, ne l'empêcha pas de mener, de temps en temps, des raids dans le territoire ensoleillé qui, au départ, à plusieurs reprises, ils avaient essayé de conquérir.

Recherchant, croit-on, des régions fertiles pour s'établir; ils sont donc arrivés, chez nous, en détruisant et incendiant au passage les contrées qui se sont trouvées sur leur route.

Nos contrées, hospitalières, fertiles et belles, ont dû convenir à leur tempérament: ils n'en sont jamais repartis!...

C'est vrai que notre région offrait à ces arrivants conquérants, des atouts en tout genre: des collines boisées, des vallées verdoyantes, des cours d'eau en abondance, des plaines protégées par les collines tout au tour; c'était pour eux une sorte de « petit paradis ».

Ces peuples qui s'installèrent dans la région délimitée ci-dessus, se composaient de plusieurs tribus, lesquelles se cantonnaient dans un territoire bien délimité. « Ainsi, autour de Toul, dans la Meuse, la tribu des Leuques, les Bellovaques autour de Beauvais, les Silvanectes à Senlis, les Suessions dans le Soissonnais, dans notre région, les Rèmes d'où dérivèrent les mots actuels Reims et Rémois, etc. et dont la racine celtique signifiait quelque chose comme chef ou celui qui va en avant. » [4]

Mais notre propos, ici, n'est point de citer, chronologiquement, les peuples qui habitèrent toute cette région, mais de prendre, comme point de référence les Rèmes, le peuple donc qui habitait notre région, comme nous venons de le voir, au moment où les légions romaines envahirent la Gaule, pour la conquérir.

Mais, où donc s'installèrent les Rèmes ?

Ils s'installèrent, en premier lieu, sur et aux alentours du Mont de Berru qui devint ainsi leur point central. C'est là qu'ils construisirent leur premier oppidum. En effet, du Mont de Berru, ils dominaient les vallées de la Retourne, de la Suippe, de l'Aisne et de la Vesle.

Il faut croire, en effet, qu'après la découverte, sur le territoire des villages entourant ce point central, de « nombreux cimetières contenant tous un grand nombre de sépultures »[5] que leur population, quoi que disséminée dans les campagnes, était très dense.

L'oppidum était leur point de rencontre habituel, soit pour les décisions à prendre en commun, soit pour l'organisation d'assemblées ou de marchés, soit encore pour la protection des femmes, des enfants et des vieillards, en cas d'attaques ennemies; « tandis que les guerriers partaient au devant de l'ennemi »[6] . Ces enclos étaient, en général, « entourés de fossés et de retranchements surmontés de palissades. Il y avait peut-être dans ces enclos quelques rares cabanes »[7], parce que « les Rèmes, en effet, comme les autres Gaulois habitaient, soit des maisons isolées, les ædificia dont parle César, où résidaient les nobles, de préférence à l'orée des bois, soit les vici de la campagne, soit plutôt des stations »[8] – genre de bocage à notre époque.

Pour des raisons que les experts ignorent, cet oppidum du Mont de Berru fut déplacé vers le sud, sur les bords de la Vesle. Est-ce parce cet endroit était un marécage qui offrait davantage de protection en cas de conflit avec d'autres tribus; est-ce parce que les routes conduisant aux autres oppidums y avaient été pratiquées; est-ce encore parce que le nombre des sujets était déjà si important qu'il fallut redessiner la situation géographique? Nul ne le sait. Ce qui est certain, c'est que les Rèmes construisirent un autre oppidum et que celui-ci devint leur point d'attache, leur chef-lieu, si l'on peut l'appeler ainsi.

Comme le dit si judicieusement Pierre Desportes, « un trait frappe immédiatement, l'emplacement actuel de Reims est nettement décentré par rapport à l'ensemble des territoires Rèmes. Mais il n'y a là rien d'étonnant; en effet, Durocortorum n'était pas le seul emplacement important des Rèmes. Dès le début du II siècle avant Jésus-Christ, chez tous les peuples de la Gaule intérieure, de profondes mutations économiques et sociales se produisirent. Nous en connaissons l'existence par l'apparition des oppida, c'est-à-dire d'emplacements fortifiés dont le choix avait été guidé autant par des préoccupations d'ordre militaire que d'ordre économique. Ils servaient d'étape et de marché sur une voie à la fois stratégique et commerciale. Chaque peuple avait un oppidum principal, mais aussi des oppida secondaires surveillant les parcours de moindre importance. »[9]

Toujours le même auteur, un peu plus loin dans son exposé sur l'Histoire de Reims, nous donne d'autres précisions : « il est, en tout cas, évident que le site de Durocortorum a été utilisé très tôt par les Rèmes comme point de rassemblement et de refuge et qu'il a pris une importance de plus en plus grande au fur et à mesure que les rapports des Rèmes et des Romains devenaient plus étroits. »[10]

Il est plausible de croire que les Rèmes exercèrent, pendant un temps que nous ignorons, « l'hégémonie sur les autres tribus Belges. Mais ce qu'il y a de certain, c'est que les gens du pays de Soissons, les Suessions, étaient les chefs de la confédération au premier siècle avant Jésus-Christ. (...) Les Rèmes, de même sang que les Suessions, subissaient les mêmes lois, se pliaient à leur autorité supérieure, mais n'attendaient qu'une occasion favorable de reprendre leur entière indépendance. »[11]

Et, comme dit le dicton populaire très juste, «tout arrive à qui sait attendre», l'occasion pour les Rèmes d'acquérir l'autonomie, leur arriva sous la forme d'un envahisseur tout-puissant: les légions de César.

L'Imperator, en effet, ayant été appelé, à leur secours, en 58 avant Jésus-Christ, par les Eduens et les Allobroges, profita de cette occasion qui lui était offerte, pour parachever la campagne qui se terminera par l'annexion tout entière de la Gaule.

Après la bataille qu'il livra contre les Helvètes, et qu'il remporta, César décida de passer l'hiver dans la Gaule. Mais des bruits de soulèvement lui arrivèrent. Il les considéra assez importants et dangereux pour ses projets. En effet, « les Belges, qui forment (...) le tiers de la Gaule, se liguaient contre le peuple romain. »[12] Une décision rapide et énergique s'imposait. Alors, « César leva deux nouvelles légions dans la Gaule citérieur et les envoya, au commencement de l'été, dans la Gaule intérieure, sous les ordres de Quintus Pédius, son lieutenant. Il rejoint lui-même l'armée, dès qu'on commence à pouvoir faire du fourrage; il charge lui-même les Sénones et les autres Gaulois, qui étaient voisins des Belges, de savoir ce qui se passe chez eux et de l'en informer. Tous s'accordent à lui annoncer qu'on levait des troupes, et qu'une armée se rassemblait. Alors, il pensa qu'il ne fallait pas hésiter à marcher contre eux. Après s'être pourvu de blé, il lève le camp et arrive au bout de quinze jours environ sur la frontière des Belges. »[13]

C'est à cet instant que les Rèmes entrèrent dans l'Histoire et sauvèrent leur région de l'occupation sans partage des romains. L'acte qu'ils accomplirent à cette occasion, fut souvent interprété comme une sorte de trahison. Et pourtant, ils ne firent que sauver leur territoire et, par la même occasion, profitèrent d'une situation favorable pour être libérés de la mainmise des Suessions. Lisons encore le récit qu'en fait César lui-même:

« – Les Rèmes, qui sont, parmi les Belges, les plus voisins de la Gaule, lui envoyèrent deux députés, Iccius et Andecumborius, les premiers de leur état, pour lui dire “qu'ils remettaient leurs personnes et leurs biens, à la garde et sous la protection du peuple romain; qu'ils n'avaient point partagé le sentiment des autres Belges, ni conspiré contre le peuple romain; qu'ils étaient prêts à lui donner des otages, à exécuter ses ordres, à le recevoir dans leurs villes, à lui fournir des vivres et toute espèce de secours; que tous les autres Belges étaient en armes; que les Germains, qui habitaient en deçà du Rhin, s'étaient joints à eux; et que l'animosité générale était telle qu'eux mêmes, frères et alliés des Suessions, unis avec eux par la conformité des lois et du gouvernement, soumis au même chef de guerre et au même magistrat, n'ont pu les détourner de prendre part au mouvement”. »[14]

Très habile comme manoeuvre, pour recouvrer une indépendance certaine vis à vis des Suessions : « frères et alliés des Suessions... soumis au même chef de guerre,... n'ont put les détourner de prendre part au mouvement... ». Malgré le fait que cette argumentation paraisse naïve et presque enfantine, elle porta ses fruits: César accepta les otages, accepta de venir chez les Rèmes, accepta leurs fournitures... et avec le temps et la certitude acquise que les Rèmes étaient vraiment ses alliés, il les prit sous sa protection et leur pays s'agrandit aux dépens des Suessions qui furent battus et spoliés d'une partie de leur territoire au profit de leurs voisins les Rèmes.

Il est, bien entendu, clair que « César ne pouvait souhaiter soumission plus spontanée ni plus complète, exiger plus de garanties, escompter plus efficace concours; car, immédiatement, ses nouveaux alliés lui fournissent sur la force de ses ennemis les renseignements les plus précieux: toute la Belgique, pays des Rèmes excepté, avait pris les armes et les Germains de la rive gauche du Rhin se joignaient à l'insurrection; le déchaînement des passions était d'une violence inouïe; tout fiers d'avoir interdit l'accès de leur territoire aux Cimbres et aux Teutons, qui ravageaient le reste de la Gaule, les Belges s'attribuaient beaucoup d'importance et manifestaient les plus grandes prétentions pour les choses de la guerre; si leur ardeur était extrême et leur moral élevé, leurs effectifs par ailleurs ne laissaient pas d'être impressionnants et les chefs Rèmes chiffraient avec précision les contingents promis par chaque cité dans l'assemblée générale des peuples belges. »[15]

« Les années 57/53 marquent la véritable entrée dans l'histoire de Durocortorum. Durant cette période, les légions romaines passèrent une grande partie de leurs quartiers d'hiver sur le territoire Rème; nous en avons la certitude pour 55, 54 (avec T. Labienus) et 52. Ce fut certainement le cas tous les ans. Le pays possédait des ressources agricoles importantes et sa position permettait de contrôler les axes importants vers Amiens, Coulommiers et Melun, Beauvais. César voulait aussi surveiller l'axe commercial Verceil-Bourgogne. C'est d'ailleurs à Durocortorum, en 53 avant Jésus-Christ, que, venant d'écraser la révolte des Éburons, il ordonna au concilium Galliæ de se réunir pour y juger la conjuration des Sénons et des Carnutes. »[16]

Mais, revenons en 57 avant Jésus-Christ. César va livrer une bataille décisive contre les Gaulois, à côté desquels les Belges qui sont aussi des Gaulois, prennent part. César sera aidé par les Rèmes et en particulier par le chef de ceux-ci, Iccius; il s'agit de la bataille de Bibrax – probablement la commune de Beaurieux actuelle.

Mais, laissons à César le récit qui lui appartient :

« Quand il (César) vit que toutes les forces des Belges, après s'être concentrées, marchaient sur lui, quand il sut, par les éclaireurs qu'il avait envoyé et par les Rèmes, qu'ils n'étaient plus bien loin, il se hâta de faire passer à son armée la rivière de l'Aisne, qui est à l'extrême frontière des Rèmes, et y plaça son camp. De cette façon, la rivière défendait un des côtés du camp; ses derrières étaient protégés de l'ennemi, et il pouvait sans péril faire venir des convois de chez les Rèmes et les autres états. Il y avait un pont sur cette rivière: il y établit un poste et laisse sur l'autre rive son lieutenant Quintus Titurius Sabinus avec sis cohortes; il fortifie son camp par un retranchement de douze pieds de haut et par un fossé de dix-huit pieds.

À huit milles de ce camp était une ville des Rèmes nommée Bibrax: les Belges lui livrèrent, en passant, un grand assaut. On n'y résista ce jour-là qu'à grand-peine. Gaulois et Belges ont la même manière de donner l'assaut. Ils commencent par se répandre en foule autour des remparts, lancent de tous côtés des pierres sur le mur, puis, quand le mur est dégarni de ses défenseurs, ils s'approchent des portes en formant la tortue et sapent le mur. Cette tactique était alors facile, car devant une telle foule criblant les remparts de pierres et de traits, personne ne pouvait rester sur le mur. La nuit mit fin à l'assaut. Le Rème Iccius, homme d'une haute naissance et d'un grand crédit auprès des siens, qui commandait alors la place, l'un de ceux qui avait été député vers César pour demander la paix, lui envoya dire “qu'il ne pouvait tenir plus longtemps, s'il n'était pas secouru”.

Au milieu de la nuit, César, utilisant comme guides ceux qui lui avaient apporté le message d'Iccius, envoie au secours des assiégés des Numides, des archers crétois et des frondeurs baléares; leur arrivée, en ranimant l'espoir des défenseurs, leur communique une nouvelle ardeur pour la résistance, et enlève en même temps aux ennemis l'espoir de prendre la place. Aussi, après un léger temps d'arrêt devant la place, après avoir dévasté les terres des Rèmes, brûlé tous les villages et tous les édifices qu'ils pouvaient atteindre, ils marchèrent avec toutes leurs forces vers le camp de César, et campèrent à moins de deux mille pas; leur camp, à en juger par la fumée et les feux, s'étendait sur plus de huit milles.

César, à cause du grand nombre des ennemis et de leur excellente réputation de bravoure, résolut tout d'abord de surseoir au combat. Cependant chaque jour, par des combats de cavalerie, il éprouvait le courage de l'ennemi et l'audace des nôtres. Quand il vit que les nôtres ne leur étaient pas inférieurs, et que l'espace qui s'étendait devant le camp était naturellement favorable et propre pour déployer une armée en bataille (parce que la colline sur laquelle le camp était assis s'élevait insensiblement au-dessus de la plaine et était sur le devant juste assez large pour y déployer une armée; qu'elle s'abaissait à ses deux extrémités et, se relevant légèrement vers le centre, revenait en pente douce vers la plaine) il fit creuser aux deux extrémités de la colline un fossé transversal d'environ quatre cents pas; au bout de ces fossés, il établit des forts  et disposa des machines pour empêcher que les ennemis, une fois qu'ils auraient déployé l'armée en bataille, ne pussent, étant donné leur nombre, prendre de flanc ses soldats et les envelopper au cours de la bataille. Cela fait, il laissa dans le camp les deux légions récemment formées, pour qu'elles pussent, si besoin était, être amenées en renfort, et il rangea en bataille les six autres légions devant le camp. L'ennemi avait de même fait sortir et déployé ses troupes.

Un marais peu étendu s'étendait entre notre armée et celle des ennemis. Les ennemis attendaient, pour voir si les nôtres le franchiraient; les nôtres, de leur côté, tenaient leurs armes prêtes pour tomber sur l'ennemi au cas où celui-ci, prenant l'initiative de traverser les marais, se trouverait en difficulté. Cependant un combat de cavalerie se livrait entre les deux lignes. Mais aucun des adversaires ne voulant hasarder le passage, César, après avoir obtenu un avantage pour les nôtres dans le combat de cavalerie, ramena ses soldats dans le camp. Les ennemis aussitôt se portèrent droit sur l'Aisne, qui était, comme on l'a dit, derrière notre camp. Ils y trouvèrent des gués, essayèrent de faire passer une partie de leurs troupes, avec l'intention de prendre, s'ils le pouvaient, le retranchement commandé par le lieutenant Quintus Titurius et de couper le pont, ou, s'ils n'y parvenaient pas, de ravager le territoire des Rèmes, qui nous offraient de grandes ressources dans cette guerre, et d'empêcher notre ravitaillement.

César, averti par Titurius, passe le pont avec toute sa cavalerie, ses Numides armés à la légère, ses frondeurs, ses archers et marche à l'ennemi. Il y eut en cet endroit un combat acharné. Les nôtres ayant surpris les ennemis dans les embarras du passage en tuèrent un grand nombre; les autres, remplis d'audace, essayaient de passer sur les corps de leurs compagnons: ils furent repoussés par une grêle de traits; ceux qui avaient traversé les premiers furent enveloppés par la cavalerie et massacrés. Quand les ennemis sentirent s'évanouir leur espoir de s'emparer de la place et de traverser le fleuve, quand ils virent que nous n'avancions pas, pour livrer bataille, sur un terrain défavorable, et qu'ils commençaient eux-mêmes à manquer de vivres, ils tinrent conseil et décidèrent que le mieux était de retourner chacun chez soi, pour s'y tenir prêts à voler au secours de ceux dont les Romains envahiraient d'abord le pays; ils combattraient avec plus d'avantage sur leur propre territoire que sur celui d'autrui et utiliseraient pour le ravitaillement les ressources intérieures du pays. Ce qui les décida, entre autres causes, ce fut la nouvelle que Diviciac et les Eduens approchaient de la frontière des Bellovaques. On ne pouvait convaincre ces derniers de rester plus longtemps sans secourir les leurs.

Cette décision prise, ils sortirent du camp à la seconde veille, à grand bruit, en tumulte, sans ordre ni discipline, prenant chacun le premier chemin qui s'offrait et ayant hâte d'arriver chez eux, si bien que ce départ ressemblait à une fuite. César en fut aussitôt prévenu par ses espions, mais, démêlant mal encore la cause de cette retraite, il craignit une embuscade et retint son armée et sa cavalerie dans le camp. Au point du jour, mieux instruit par les éclaireurs, il détacha toute sa cavalerie pour retarder l'arrière-garde; il mit à sa tête ses lieutenants Quintus Pédius et Lucius Aurunculéius Cotta; le lieutenant Titus Labiénus eut ordre de suivre avec trois légions. Ils atteignirent l'arrière-garde, la poursuivirent pendant plusieurs milles, tuèrent un grand nombre de fuyards: les derniers, une fois rattrapés, firent halte et soutinrent vaillament le choc de nos soldats; mais ceux qui les précédaient, se voyant éloignés du péril, et n'étant retenus ni par la nécessité ni par l'ordre d'aucun chef, rompirent leurs rangs et mirent tous leur salut dans la fuite. Ainsi les nôtres en tuèrent, sans péril, autant que la durée du jour le leur permit; au coucher du soleil, ils cessèrent le carnage et se replièrent sur leur camp, suivant l'ordre qu'ils avaient reçu.

Le lendemain, César, avant que l'ennemi se fût rallié et remis de son effroi, conduisit son armée au pays des Suessions, qui étaient les plus proches voisins des Rèmes, et arriva, après une longue marche, à la place de Noviodunum. Il essaya de la prendre en passant, parce qu'il entendait dire qu'elle était sans défenseurs; mais il ne put y réussir, en dépit du petit nombre de ceux-ci, à cause de la largeur du fossé et de la hauteur des murs. Il se mit alors à retrancher son camp, à faire avancer les mantelets et à préparer tout ce qui était nécessaire pour un siège. En attendant, toute la multitude des Suessions en déroute s'enferma la nuit suivant dans la place. On avait rapidement poussé les mantelets contre la place, élevé le terrassement, construit les tours: étonnés de la grandeur de ces travaux qu'ils n'avaient encore jamais vus, dont ils n'avaient jamais ouï parler, les Gaulois envoient des députés à César pour capituler; et, sur la prière des Rèmes, ils obtiennent la vie sauve. » [17]

Cette bataille fut donc enlevée de haute lutte par la coalition composée de Romains et de Rèmes, lesquels Rèmes, se montrèrent, en la circonstance, miséricordieux et magnanimes envers les Suessions qui les avaient dominés par le passé, en demandant à César de les épargner.

Suite à celle-ci, les Rèmes devinrent les maîtres des peuples de la région et, en particulier de ces mêmes Suessions. Leur oppidum connut un prompt développement. Son nom fut latinisé et Durocortorum s'imposa rapidement comme la principale cité romaine de la Belgique Seconde.

Les Romains s'installèrent vers l'actuel quartier de Bétheny, ce qui fait dire à Henri Demitra qui, étant donné ses connaissances professionnelles est digne de toute confiance; « que le quartier de Bétheny serait le berceau du Reims antique »[18], opinion que nous partageons sans réserve. Après avoir expliqué les motivations de son assertion, dues, bien entendu, aux découvertes faites par lui et son équipe d'employés municipaux aux premières aurores du XXe siècle, il écrit:

« La voie romaine passant rue de Bétheny en se dirigeant vers Château-Porcien, serait la plus ancienne des voies romaines de notre région et pour ainsi dire un chemin de pénétration ayant servi aux armées romaines envahissantes. » [19]

Et, comme s'il voulait justifier son affirmation et, toujours basé sur ses découvertes, tout au long des chantiers urbains dont il avait la charge — il était cantonnier-chef de la Ville de Reims en 1900 — , il ajoute : « Les Romains, hommes pratiques et prévoyants, choisirent cette partie de notre ville, pour fonder un centre de ravitaillement, établir un point de concentration et de surveillance. En effet, de cet endroit un peu élevé, on devait facilement surveiller la plaine environnante et en même temps les clans ou tribus gauloises habitant dans la direction de l'Est. »[20]

Il y a une logique certaine dans ces affirmations de l'expert qu'était Henri Demitra. En effet, les romains, dès leur arrivée, ne se mêlèrent pas aux Rèmes, bien que ceux-ci soient devenus leurs alliés. Ils habitèrent à part, tout du moins dans un premier temps: les Rèmes dans leur oppidum et tout autour; les Romains dans un quartier qu'ils se choisirent; celui de Bétheny.

« À l'époque, la protection du quartier Bétheny se composait d'un retranchement de peu d'importance, en un mot, d'une fortification passagère établie par les armées romaines. Mais par la suite, la Ville étendue de toute part, devait être mieux protégée. Une enceinte fortifiée fut édifiée par les gallo-romains, suivant une vaste circonvallation. (...) Cette enceinte [était] composée d'un fossé large et profond. (...) Ce fossé était régulier et établi par dimensions déterminées. »[21]

Le temps et les années vont progressivement changer cet état d'esprit. Les Rèmes s'adapteront aux manières de vivre des Romains et la cohabitation se fera progressivement; l'oppidum, deviendra cité romaine et, petit à petit accueillera les Romains, lesquels y installeront l'eau, une eau potable de bonne qualité. « L'aqueduc romain amenant les eaux de la Suippe à Reims doit être considéré comme le plus ancien travail que les Romains ont exécuté. Ces constructions se retrouvent partout où les Romains ont séjourné. Leur premier souci, où ils s'établissent, était de se procurer une eau qui fut non seulement potable, mais choisie et excellente. » [22]

Ils construisirent aussi des routes « au cours du I siècle, en améliorant le tracé et le sol des chemins gaulois »[23], routes dont les tracés sont encore visibles aujourd'hui, à certains endroits. Ils construisirent aussi des maisons, qui remplacèrent, progressivement « le misérable chaos des huttes et des cabanes, éparses entre les murs; (...) des rues se traversaient régulières, symétriques autour d'un vaste forum, peuplé de temples et de statues; des basiliques, des thermes, un amphithéâtre, un théâtre. » [24] Un imposant palais où les empereurs romains vinrent souvent séjourner et, plus tard encore, des arènes, élevées par l'empereur Adrien, en 132, lors de son séjour dans la cité. Des arcs de triomphe du plus pur style romain furent érigé; des arcs de triomphe non point pour célébrer des victoires mais pour célébrer la paix et l'alliance entre les peuples Rèmes et Romains. Témoin solitaire, la porte Mars, arc de triomphe monumental construit par les Romains au IIIe siècle, situé au Nord – le plus grand de tout l'empire romain.

D'autres portes ou arcs de triomphe, de moindre envergure, furent construits aux trois autres entrées de Durocortorum: la porte Cérès, à l'Est, qui commandait la route de Trèves, d'où la raison qu'elle fut aussi connue sous le nom de porte Trevirica; la porte Bacchus, bien plus connue, elle aussi, sous le nom de porte Basée, au sud et qui donnait accès à la Voie Césarée – rue du Barbâtre, aujourd'hui –, conduisait à Rome par Châlons, Troyes, Autun, etc. et, enfin la porte Vénus, qui ouvrait sur les routes conduisant à Soissons et à Paris.

Et voilà comment, l'oppidum entouré de palissades devint peu à peu une belle cité, une grande cité où la cohabitation entre Rèmes et Romains fut un bel exemple d'intégration, même si quelques ombres ternirent à certaines périodes cette cohabitation.

« Le nom même de Durocortorum, aux consonances rudes et barbares, disparaît peu à peu du langage. On ne dit pas encore Reims, mais déjà l'appellation de Civitas Remorum tend à prévaloir. La ville de Reims est fondée. » [25]

Il est important de souligner que dans la majorité des cas, les Rèmes restèrent d'une fidélité exemplaire, vis à vis des Romains; la preuve la plus formelle étant le discours enflammé de Julius Auspex lors de l'assemblée organisée par les Rèmes au moment où les Trévires, commandés par « Julius Valentinus, le plus ardent promoteur de la guerre »,[26] voulaient faire la guerre aux Romains.

Voici le récit de Tacite:

«  Julius Auspex, un des principaux Rèmes, parla longuement de la force de Rome et des avantages de la paix: “la guerre, disait-il, peut être entreprise même par des lâches, mais ce sont les plus braves qui la font et qui en courent les risques; déjà les légions sont sur leurs têtes”. Il parvint à les contenir, les plus sages en faisant appel au respect de l'honneur, les plus jeunes par idée du danger et par crainte. Ils louaient le courage de Valentinus, mais ils suivaient l'avis d'Auspex. » [27]

Et, au IIIe siècle, au moment où l'on construisait à Durocortorum l'arc de triomphe de la porte Mars, pour célébrer la paix entre les peuples Rèmes et Romains, après « de longues années de prospérité et de paix sous le gouvernement des Césars » [28], des événements graves et dramatiques survinrent. C'est ainsi qu'une « première fois, en 257, les Barbares apparaissent et détruisent en Gaule soixante cités; une seconde fois, en 275, ils reviennent à l'assaut. Reims, démantelée, tombe sans défense entre leurs mains et les riches quartiers qui s'étendaient en demi-cercle autour de la cité gauloise furent la proie des flammes; complètement détruits, ils ne se relèveront de leurs ruines que seize siècles plus tard. La ville se resserre alors dans les anciennes limites de l'oppidum primitif et s'abrite derrière une enceinte lourde, disgracieuse, édifiée à la hâte avec les débris des splendeurs du passé.

Mais presque en même temps que les Barbares, arrive le premier évêque de Reims, saint Sixte, qui prêche l’Évangile, fonde le siège épiscopal, organise l’Église de Reims, groupe autour de sa chaire une chrétienté. Sur le vieux sol des Rèmes, conquis et civilisé par Rome, deux forces nouvelles, les christianisme et les Barbares, vont ainsi se rencontrer et de tous ces éléments harmonisés et fondus naîtront, après deux siècles sombres et tragiques, dans la douce lumière de Noël, un peuple et un monde nouveaux. »[29]

Nous allons donc, dans le prochain article, assister à cette « naissance » de l’Église de Reims, si riche en noms célèbres et en saints martyrs.


[1] G. Boussinesq et G. Laurent; “Histoire de Reims”; T 1; page 30; Matot-Braine; Reims; 1933.

[2] G. Boussinesq et G. Laurent: “Histoire de Reims”; T 1; page 30; Matot-Braine; Reims; 1933.

[3] G. Boussinesq et G. Laurent; “Histoire de Reims”; T 1; page 52; Matot-Braine; Reims; 1933.

[4] G. Boussinesq et G. Laurent; “Histoire de Reims”; T 1; page 53; Matot-Braine; Reims; 1933.

[5] G. Boussinesq et G. Laurent; “Histoire de Reims”; T 1; pages 53 et 55; Matot-Braine; Reims; 1933.

[6] G. Boussinesq et G. Laurent; “Histoire de Reims”; T 1; page 56; Matot-Braine; Reims; 1933

[7] G. Boussinesq et G. Laurent; “Histoire de Reims”; T 1; page 56; Matot-Braine; Reims; 1933

[8] Chanoine J. Leflon; “Histoire de l’Église de Reims”; Travaux de l'Académie Nationale de Reims; T 152

[9] Pierre Desportes; “Histoire de Reims”; page 14; Privat Éditeur; Toulouse; 1983

[10] Pierre Desportes; “Histoire de Reims”; page 20; Privat Éditeur; Toulouse; 1983

[11] G. Boussinesq et G. Laurent; “Histoire de Reims”; T 1; pages 57 et 58; Matot-Braine; Reims; 1933

[12] César; “La Guerre des Gaules”; traduit par Maurice Rat; L II; chap. 1; Flammarion; Paris; 1981

[13] César; “La Guerre des Gaules”; traduit par Maurice Rat; L II; chap. 2; Flammarion; Paris; 1981

[14] César; “La Guerre des Gaules”; traduit par Maurice Rat; L II; chap. 3; Flammarion; Paris; 1981

[15] Chanoine J. Leflon; “Histoire de l’Église de Reims; Travaux de l'Académie Nationale de Reims; T 152

[16] Pierre Desportes; “Histoire de Reims”; page 21; Priva Éditeur; Toulouse; 1983

[17] César: “La Guerre des Gaules”; traduit par Maurice Rat; LII; chap. 9 à 12; Flammarion; Paris; 1981

[18] Henri Demitra; “Autour de Reims Antique”; page 21; Matot-Braine; Reims; 1910

[19] Henri Demitra; “Autour de Reims Antique”; page 21; Matot-Braine; Reims; 1910

[20] Henri Demitra; “Autour de Reims Antique”; page 21; Matot-Braine; Reims; 1910

[21] Henri Demitra; “Autour de Reims Antique”; page 29; Matot-Braine; Reims; 1910

[22] Henri Demitra; “Autour de Reims Antique”; page 34; Matot-Braine; Reims; 1910

[23] Chanoine J. Leflon; “Histoire de l’Église de Reims”; page 71; Travaux de l'Académie Nationale de Reims; T. 152

[24] Chanoine J. Leflon; “Histoire de l’Église de Reims”; page 39; Travaux de l'Académie Nationale de Reims; T. 152

[25] Chanoine J. Leflon; “Histoire de l’Église de Reims”; pages; 39/40; Travaux de l'Académie Nationale de Reims; T. 152; années 1939/1941.

[26] Tacite; “Histoires”; traduit par Henri Goelzer; L IV; chap. 68; Les Belles Lettres; Paris; 1921.

[27] Tacite; “Histoires”; traduit par Henri Goelzer; L IV; chap. 69; Les Belles Lettres; Paris; 1921.

[28] Chanoine J. Leflon; “Histoire de l’Église de Reims”; page 80; Travaux de l'Académie Nationale de Reims; T. 152

[29] Chanoine J. Leflon; “Histoire de l’Église de Reims”; page 81; Travaux de l'Académie Nationale de Reims; T. 152

 

   

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