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RÉCIT
DE L'ABBÉ JULES SACRÉ
aumônier des
prisons de Reims
Le
12 février, dimanche de la Sexagésime, est la date à la fois funeste et
glorieuse de cette fin
tragique. À minuit, je recevais du commandant de place
prussien une lettre qui m'ordonnait de me rendre à quatre heures et demie du
matin à l'hôtel de ville, où était détenu M. l'abbé Miroy. La lettre
n'indiquait pas ce que l'on voulait de moi, mais je compris aussitôt qu'il
s’agissait d'une exécution capitale ; et, comme je connaissais
l'arrestation de M. l'abbé Miroy, un pressentiment me dit qu'il s'agissait de
lui. Je n'avais que trop bien deviné. Je fus assez heureux pour pouvoir
demander à deux communautés des prières en faveur de cette victime quelle
qu'elle fut, et je me rendis à l'hôtel de ville à l'heure indiquée.
À
cinq heures et demie environ, un piquet de soldats introduisit mon infortuné
confrère dans la salle ou j'étais et où l'attendait également le juge qui
devait lire sa sentence. Elle était rédigée brièvement, et je ne pus en
saisir les à cause de l'éloignement
où j'étais. M. Miroy écouta en silence et sans faire aucune observation la
lecture du jugement qui le condamnait à être fusillé ! Il se contenta de
demander au juge quand aurait lieu l'exécution. Il lui fût répondu :
« Aujourd'hui, tout à l'heure. » Il s'inclina alors avec une noble
dignité et se retourna aussitôt vers moi. Je l'entraînai dans une autre salle
qui nous fut désignée : on nous laissa seuls ; mais des sentinelles
placées au dehors gardaient soigneusement toutes les issues.
« Il
n’y eut chez M. Miroy rien de ce que l'on remarque dans ces affreuses
situations : ni défaillance, ni larmes, ni plaintes, ni récriminations.
Pas un mot contre ses juges ; pas un mot contre ses dénonciateurs, si
coupables pourtant. La pensée de se préparer chrétiennement à la mort le
domina exclusivement dés le premier instant. Il vit dans la sentence qui le
frappait une disposition de la Providence lui offrant le moyen d'assurer le
salut de son âme : « J'aime
bien mieux mourir ainsi, disait-il, que
de mourir subitement. » Son
acceptation fut instantanée, complète et sans retour. Tout ce que j'avais préparé
pour l'établir dans cette disposition d'esprit devenait tronc heureusement
inutile. C'est le plus grand spectacle que j'aie vu de ma vie. Une telle
acceptation en face d'une telle mort me paraît, en effet, ce qu'il y a de plus
magnifique de plus héroïque.
Une
seule chose le préoccupait et l’inquiétait vivement, c'était la crainte de
n'avoir pas assez de temps pour se disposer comme il le voulait.
« Que ne m'ont-ils du moins accordé un jour, disait-il, voilà
déjà six heures ! »
Après qu’il eut terminé sa
confession, nous récitâmes différentes prières adaptées à la circonstance.
Une de ces prières était le Salve Regina, ce cri d'espérance adressé à la Vierge Marie, la mère
de miséricorde, par l'âme affligée. Je savais qu'il aimait la Mère de Dieu
et qu'il avait dans son intercession une grande confiance. Après quelques mots,
il m'interrompit : « Oh!
recommencez donc, me dit-il, c'est si
beau ! » Je m’apprêtais à lui lire la Passion du Sauveur,
mais il me dit : « Parlez-moi
plutôt, j'aime mieux cela. » Il m’écoutait comme le plus humble
des fidèles ; il entrait dans tous les sentiments que je lui suggérais ;
il avait absolument abandonné son âme.
L'heure
du départ approchait. On vint nous avertir qu'il ne nous restait plus qu'un
quart d'heure. Tout était fini pour les choses de la conscience ; mais il
restait encore à ce malheureux confrère à exprimer ses dernières volontés.
C'est ce qu'il fit avec une lucidité d'esprit et une fermeté dans l'écriture
qui doivent être bien rares. Quiconque aura sous les yeux ce testament, ne soupçonnera
pas qu’il a été écrit dans un pareil moment. Il me confia ensuite quelques
objets, en m'indiquant l'usage précis qu'il fallait en faire.
On
vint alors nous prendre pour nous faire monter dans la voiture qui devait nous
conduire au champ de la mort. Je voulais offrir mon bras à mon confrère, mais
il n'accepta pas ce service disant que cela n'était pas nécessaire. Je lui
rappelai en ce moulent ces belles paroles de saint Augustin : « Vita
mutatur, non tollitur (pour le juste); la vie n'est point enlevée, elle
n'est que changée. » Son intelligence si vive eu saisit bien vite la
beauté et l'espérance. Vita mutatur, non
tollitur, répéta-t-il. La voiture se mit en marche au milieu d'un cortège
de soldats vraiment imposant. Comme le bruit de la voiture sur le pavé nous empêchait
de nous entendre facilement : « J'aurais
bien mieux aimé marcher à pied », dit-il. Je lui fis observer
qu’il valait peut-être mieux qu'il en fut ainsi à cause de l'habit ecclésiastique,
qu'il portait. « Mais il n'y a pas
de honte », reprit-il avec une certaine vivacité.
Nous
arrivons enfin, après un trajet qui dura un siècle, au lieu de l'exécution.
L'officier chargé du commandement demanda alors à M. Miroy son nom, et lui,
dit avec une émotion visible et comme un homme qui demande pardon de l'action
qu'il va faire, qu'il était obligé d’accomplir son devoir : « Faites ! » répondit M. Miroy avec une certaine
fierté. Aussitôt après, nous nous dirigeâmes vers le lieu marqué pour l'exécution.
Pendant que nous marchions, l’officier dont j'ai déjà parlé lui tendit la
main en signé de sympathie et en prononçant certaines paroles que je n'ai pas
entendues. M. Miroy saisit, avec émotion la main de cet homme qui semblait bon
et affligé du rôle qu'il allait remplir. Arrivé à l'endroit où il allait
mourir, M. Miroy demanda selon l'usage une dernière absolution, me remit un
crucifix qu'il n'avait pas cessé de tenir entre ses mains pendant le trajet,
m'embrassa d'une manière qui voulait dire mille choses au cœur. Je compris
mieux que jamais en ce moment ce que c’est que de s'aimer en Dieu. Un soldat
qui tenait à la main un mouchoir blanc demanda alors s'il voulait qu'on lui
bandât les yeux. Après un moment d'hésitation, il répondit : « Oui,
il ne faut pas d'ostentation. » Une minute plus tard, il tombait
foudroyé par les balles prussiennes. Ainsi mourut cet infortuné confrère,
victime de son patriotisme, comme une main inconnue l'écrivait le même jour
sur sa tombe... Il ne me reste maintenant qu'à demander à ceux qui liront ces
lignes une prière pour l’âme de notre confrère, car ce fut un des vœux
qu'il exprima avant de mourir.
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