AD PERPETUAM REI MEMORIAM

Charles Eugène
Miroy
curé de Cuchery, mort pour la France
(1829-1871)

 

Charles Eugène Miroy naquit dans les Ardennes, en 1829.

L’abbé Miroy, curé de Cuchery, fut accusé, par des paroissiens malveillants, et remplis de haine, d’avoir excité ses paroissiens à la résistance et d’avoir caché des fusils dans son église...

Condamné à mort par un tribunal militaire d’exception, il fut exécuté, au petit matin, contre le mur du Cimetière du Nord, pendant l’armistice, le dimanche 12 février 1871. Il n’avait que 42 ans. Il était assisté par l’abbé Sacré, aumônier des prisons, qui fit, sur cette douloureuse affaire, un poignant récit. Sa mort fut, non seulement celle d’un patriote convaincu, mais aussi celle d’un chrétien décidé.

En effet, il pardonna à ceux qui l’avaient injustement accusé, et à ceux qui allaient être ses bourreaux. Avant son exécution, le gradé chargé de donner l’ordre de tir, vint lui serrer la main.

N’est-il pas dit dans l’Évangile que prêchait l’abbé Miroy que « la plus grande preuve d’amour est de donner la vie pour ceux que l’on aime?... » Et encore que l’on « doit aimer, même nos ennemis? »

Le gisant de l’abbé Miroy, dans le Canton 16 au Cimetière du Nord est l’œuvre du sculpteur rémois René de Saint-Marceaux. Ce monument fut inauguré le 23 mai 1873, en présence de plusieurs personnalités rémoises, dont Victor Diancourt, alors maire de la ville. Il y prononça un chaleureux discours, où il mit en évidence le courage patriotique et chrétien de l’abbé Miroy.

Des mains charitables y déposent régulièrement une fleur, comme pour le remercier de son sacrifice héroïque. À certaines périodes de l’année, sa tombe est fleurie par la Municipalité, au titre de martyr de la résistance. [1]

VOIR ci-après le beau récit de l'abbé Jules Sacré.

[1] Alphonse ROCHA : “Le Cimetière du  Nord ; Deux siècles d’histoire rémoise” Guerlin-Martin ; Reims 1998.

 

RÉCIT
DE L'ABBÉ JULES SACRÉ
aumônier des prisons de Reims

Le 12 février, dimanche de la Sexagésime, est la date à la fois funeste et glorieuse de cette fin tragique. À minuit, je recevais du commandant de place prussien une lettre qui m'ordonnait de me rendre à quatre heures et demie du matin à l'hôtel de ville, où était détenu M. l'abbé Miroy. La lettre n'indiquait pas ce que l'on voulait de moi, mais je compris aussitôt qu'il s’agissait d'une exécution capitale ; et, comme je connaissais l'arrestation de M. l'abbé Miroy, un pressentiment me dit qu'il s'agissait de lui. Je n'avais que trop bien deviné. Je fus assez heureux pour pouvoir demander à deux communautés des prières en faveur de cette victime quelle qu'elle fut, et je me rendis à l'hôtel de ville à l'heure indiquée.

À cinq heures et demie environ, un piquet de soldats introduisit mon infortuné confrère dans la salle ou j'étais et où l'attendait également le juge qui devait lire sa sentence. Elle était rédigée brièvement, et je ne pus en saisir les à  cause de l'éloignement où j'étais. M. Miroy écouta en silence et sans faire aucune observation la lecture du jugement qui le condamnait à être fusillé ! Il se contenta de demander au juge quand aurait lieu l'exécution. Il lui fût répondu : « Aujourd'hui, tout à l'heure. » Il s'inclina alors avec une noble dignité et se retourna aussitôt vers moi. Je l'entraînai dans une autre salle qui nous fut désignée : on nous laissa seuls ; mais des sentinelles placées au dehors gardaient soigneusement toutes les issues.

« Il n’y eut chez M. Miroy rien de ce que l'on remarque dans ces affreuses situations : ni défaillance, ni larmes, ni plaintes, ni récriminations. Pas un mot contre ses juges ; pas un mot contre ses dénonciateurs, si coupables pourtant. La pensée de se préparer chrétiennement à la mort le domina exclusivement dés le premier instant. Il vit dans la sentence qui le frappait une disposition de la Providence lui offrant le moyen d'assurer le salut de son âme : « J'aime bien mieux mourir ainsi, disait-il, que de mourir subitement. »  Son acceptation fut instantanée, complète et sans retour. Tout ce que j'avais préparé pour l'établir dans cette disposition d'esprit devenait tronc heureusement inutile. C'est le plus grand spectacle que j'aie vu de ma vie. Une telle acceptation en face d'une telle mort me paraît, en effet, ce qu'il y a de plus magnifique de plus héroïque.

Une seule chose le préoccupait et l’inquiétait vivement, c'était la crainte de n'avoir pas assez de temps pour se disposer comme il le voulait. « Que ne m'ont-ils du moins accordé un jour, disait-il, voilà déjà six heures ! »

Après qu’il eut terminé sa confession, nous récitâmes différentes prières adaptées à la circonstance. Une de ces prières était le Salve Regina, ce cri d'espérance adressé à la Vierge Marie, la mère de miséricorde, par l'âme affligée. Je savais qu'il aimait la Mère de Dieu et qu'il avait dans son intercession une grande confiance. Après quelques mots, il m'interrompit : « Oh! recommencez donc, me dit-il, c'est si beau ! » Je m’apprêtais à lui lire la Passion du Sauveur, mais il me dit : « Parlez-moi plutôt, j'aime mieux cela. » Il m’écoutait comme le plus humble des fidèles ; il entrait dans tous les sentiments que je lui suggérais ; il avait absolument abandonné son âme.

L'heure du départ approchait. On vint nous avertir qu'il ne nous restait plus qu'un quart d'heure. Tout était fini pour les choses de la conscience ; mais il restait encore à ce malheureux confrère à exprimer ses dernières volontés. C'est ce qu'il fit avec une lucidité d'esprit et une fermeté dans l'écriture qui doivent être bien rares. Quiconque aura sous les yeux ce testament, ne soupçonnera pas qu’il a été écrit dans un pareil moment. Il me confia ensuite quelques objets, en m'indiquant l'usage précis qu'il fallait en faire.

On vint alors nous prendre pour nous faire monter dans la voiture qui devait nous conduire au champ de la mort. Je voulais offrir mon bras à mon confrère, mais il n'accepta pas ce service disant que cela n'était pas nécessaire. Je lui rappelai en ce moulent ces belles paroles de saint Augustin : « Vita mutatur, non tollitur (pour le juste); la vie n'est point enlevée, elle n'est que changée. » Son intelligence si vive eu saisit bien vite la beauté et l'espérance. Vita mutatur, non tollitur, répéta-t-il. La voiture se mit en marche au milieu d'un cortège de soldats vraiment imposant. Comme le bruit de la voiture sur le pavé nous empêchait de nous entendre facilement : « J'aurais bien mieux aimé marcher à pied », dit-il. Je lui fis observer qu’il valait peut-être mieux qu'il en fut ainsi à cause de l'habit ecclésiastique, qu'il portait. « Mais il n'y a pas de honte », reprit-il avec une certaine vivacité.

Nous arrivons enfin, après un trajet qui dura un siècle, au lieu de l'exécution. L'officier chargé du commandement demanda alors à M. Miroy son nom, et lui, dit avec une émotion visible et comme un homme qui demande pardon de l'action qu'il va faire, qu'il était obligé d’accomplir son devoir : « Faites ! » répondit M. Miroy avec une certaine fierté. Aussitôt après, nous nous dirigeâmes vers le lieu marqué pour l'exécution. Pendant que nous marchions, l’officier dont j'ai déjà parlé lui tendit la main en signé de sympathie et en prononçant certaines paroles que je n'ai pas entendues. M. Miroy saisit, avec émotion la main de cet homme qui semblait bon et affligé du rôle qu'il allait remplir. Arrivé à l'endroit où il allait mourir, M. Miroy demanda selon l'usage une dernière absolution, me remit un crucifix qu'il n'avait pas cessé de tenir entre ses mains pendant le trajet, m'embrassa d'une manière qui voulait dire mille choses au cœur. Je compris mieux que jamais en ce moment ce que c’est que de s'aimer en Dieu. Un soldat qui tenait à la main un mouchoir blanc demanda alors s'il voulait qu'on lui bandât les yeux. Après un moment d'hésitation, il répondit : « Oui, il ne faut pas d'ostentation. » Une minute plus tard, il tombait foudroyé par les balles prussiennes. Ainsi mourut cet infortuné confrère, victime de son patriotisme, comme une main inconnue l'écrivait le même jour sur sa tombe... Il ne me reste maintenant qu'à demander à ceux qui liront ces lignes une prière pour l’âme de notre confrère, car ce fut un des vœux qu'il exprima avant de mourir. [1]

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[1] Cf. Chanoine Charles Cerf, Le Livre d’or du diocèse de Reims, p. 135.

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