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Nous, voudrions aujourd’hui raconter rapidement la vie de notre confrère et ami,
M. le
chanoine Cerf, et mettre à ce récit l'accent de vénération, de bon et
affectueux souvenir que chacun met en parlant du saint prêtre, de l'homme
aimable et bon que Reims vient de perdre.
Quelle
vie sacerdotale plus uniforme et cependant mieux remplie que la sienne ?
Pendant plus de cinquante ans, elle s'est écoulée toujours la même, dans l'étude,
l'exercice du ministère, la piété, le dévouement. Pendant plus de cinquante
ans, la cathédrale a eu le bénéfice de ce dévouement et l'édification de
cette piété.
Le
mois de novembre dernier ramenait le cinquantième anniversaire de l'ordination
et de l'entrée en fonctions de l'abbé Cerf.
Une
amicale conspiration se forma entre les parents, les confrères et les amis du
bon chanoine pour obtenir qu'il célébrât ses noces d'or.
Il
fallut, pour l'obtenir, livrer plus d'un assaut à sa modestie. Il répondait
toujours : pourquoi s'occuper de moi, pourquoi s'occuper de moi ?
Enfin,
il fut vaincu, il céda aux désirs de tous. La cérémonie des noces d'or fut célébrée
à la chapelle des Auxiliatrices le dimanche 14 novembre, à la chapelle du
Bon-Pasteur le lundi 15, et à la cathédrale le mardi 16.
Nous
en avons donné le récit dans notre numéro du 20 novembre, tome XXX, du
Bulletin, p. 553.
Ce
fut une grande démonstration de vénération et de sympathie. Elle s'est
retrouvée depuis aussi éclatante et aussi unanime, mais, hélas ! le jour
des obsèques.
M,
l'abbé Cerf (Louis Charles) est né à Reims le 8 novembre 1824, d'une famille
dans laquelle la foi la plus vive s'unissait au patriotisme le plus ardent.
Pendant la Révolution, et c'est un souvenir qui lui était cher, dont il tirait
même quelque fierté, ses grands-parents cachèrent plusieurs prêtres, les aidèrent
à remplir leur ministère ; plus d’un fut sauvé de la mort par eux, au
risque, comme le disait ces jours-ci le Courrier
de la Champagne, de leur liberté et même de leur vie.
L'abbé
Cerf fit toutes ses études d'humanités au petit Séminaire de Reims. Il s'y
montra remarquable par la piété, l'amabilité du caractère, la docilité, le
respect pour la règle et les maîtres, plus que brillant pour l'intelligence.
Au grand Séminaire, il porta les mêmes qualités, avec un goût marqué pour
les cérémonies de l'Église, et, en les faisant, une grâce rehaussée de
modestie, qui décidèrent de son avenir.
Au
grand Séminaire, il fut particulièrement cher à ce vénérable M. Aubry, le
supérieur d'alors, si expert dans le discernement des âmes vraiment
sacerdotales. Le Chanoine est resté attaché jusqu'à son dernier jour à la mémoire
de M. Aubry, que tous nous regardions comme un saint, austère pour lui-même,
bon pour les autres.
Ordonné
prêtre le 14 novembre 1847, jour même de la dédicace des églises, l'abbé
Cerf fut nommé immédiatement prêtre sacristain de Notre-Dame. Dès lors,
c'est à lui qu'incomba le soin de préparer et de diriger les grandes cérémonies
qui eurent lieu à diverses époques dans la cathédrale. Il eut à préparer
plusieurs sacres d'évêques, notamment celui de Mgr Regnault, évêque de
Chartres, et celui de Mgr Nanquette; évêque du Mans.
Quand
le cardinal Gousset avait une église nouvelle à consacrer, il envoyait à
l'avance l'abbé Cerf, afin de préparer et d'ordonner tous les détails de
cette cérémonie longue et compliquée.
Disons
tout de suite que tous nos Archevêques, le cardinal Gousset, Mgr Landriot, le
cardinal Langénieux, ont témoigné à l'abbé Cerf une particulière estime et
beaucoup d'affection. Le cardinal Gousset le nomma chanoine honoraire le 15 mai
1852, après moins de cinq ans de prêtrise, et il voulut un jour l'avoir pour
compagnon de l'un de ses voyages à Rome, honneur et faveur que l'abbé Cerf se
trouva forcé de décliner. Mgr Landriot, qui passait la plupart de ses soirées
entouré des membres du clergé rémois, tenait beaucoup à la présence de
l'abbé Cerf dans ces réunions intimes où l'aimable abbé, provoqué souvent
par l'Archevêque, donnait libre cours à son goût et à sa facilité pour les
jeux de mots. Le 25 novembre 1878, l'abbé Cerf fut nommé chanoine titulaire
par Mgr Langénieux. Quand la nomination revint de Paris, Monseigneur était
absent; mais, par une délicate attention, avant son départ, il avait averti
l'abbé Cerf de l'honneur qui lui était réservé. Le bon abbé fut d'autant
plus sensible à celte attention de son Archevêque, qu'à ce moment-là même,
Mme Cerf, la vénérable mère du nouveau chanoine, celle qui fut la grande
affection de sa vie, était dangereusement malade, et qu'elle eut, avant de s'éteindre,
la joie d'apprendre la distinction accordée à son fils.
La
nomination de M. Cerf au canonicat fut très bien accueillie du clergé et de la
ville entière ; et, pourquoi ne donnerions-nous pas ici ce détail ? de
tout le personnel employé à la cathédrale.
Pendant
ces trente années de contact avec ces braves gens, M. Cerf s'était concilié
leur estime et leur affectueuse confiance. Aussi, quand le jour de son
installation il fallut sonner le gros bourdon, chacun voulut prendre part à la
fêle, et, s'y mettant à tour de rôle, ils le sonnèrent pendant prés d'une
heure. Jamais installation de chanoine n'éveilla autant d'échos dans les rues
de la cité et aux alentours.
Voilà
donc l'abbé Cerf fixé pour toujours à la cathédrale. C'est le moment de
raconter l'une de ces journées, ce sera les avoir raconté toutes. Dés cinq
heures du matin, en toute saison, il est à son confessionnal ; à six
heures, il va célébrer la messe chez les Dames
Auxiliatrices du Purgatoire, puis il revient au confessionnal, où il
reste jusque huit heures, pour y revenir après la messe du Chapitre, avant et
après les vêpres, et, les veilles de fêtes, ne pas en sortir, même pour
l'office canonial.
Nous
lui avons plus d'une fois demandé, surtout en hiver, et quand, étant
semainier, il devait chanter la messe du Chapitre, pourquoi il ne se relâchait
pas un peu de ses habitudes matinales. Il nous a invariablement répondu que les
bonnes, les ouvrières, les ouvriers, qui n'ont que ces heures matinales pour
s'approcher des sacrements, ne pouvaient deviner qu'il était de semaine, et
qu'il ne voulait pas qu'ils vinssent se heurter à son confessionnal sans l'y
trouver.
Il
y a parmi ces petits, qui ont été l'objet des soins de notre regretté confrère,
beaucoup de vertus et de générosité ; il aura été l'artisan de cette
belle oeuvre.
De
la cathédrale, il allait dans les communautés dont il avait la charge.
Chapelain dans celle-ci, confesseur dans celle-là catéchiste et tout le reste
dans cette autre.
Rentré
chez lui, dans les rares loisirs que lui laissaient un ministère aussi occupé,
au lieu de jouir de l'intimité de sa famille, avec laquelle il a toujours vécu,
il prenait sa plume et ses livres, et préparait les travaux historiques dont
nous dirons un mot plus loin.
Le
dimanche était particulièrement dur pour notre pauvre ami. Confessions dès le
matin, première messe, puis confessions ; à neuf heures, seconde messe à
la chapelle des Conférences de Saint-Vincent de Paul ; à dix heures messe
du Chapitre ; à une heure, long catéchisme, etc., au Bon-Pasteur ;
à trois heures, vêpres du Chapitre, puis enfin salut à la chapelle des
Auxiliatrices du Purgatoire.
La
messe de neuf heures, à la chapelle de Saint-Vincent de Paul, était très fréquentée
non seulement par les pauvres de la Sainte-Famille visités par les Conférences,
mais par toutes sortes de personnes. L'abbé Cerf y parlait tous les dimanches
avec une simplicité, un esprit de foi, une piété, une bonté qui allaient au
cœur de tous. Bien des gens disaient : moi, je vais à la messe de neuf
heures, rue du Couchant, et j'y mène mon fils, pour entendre le bon M. Cerf.
De
cette messe, rue du Couchant, il courait à la messe du Chapitre, « grignotant »
en pleine rue son petit morceau de pain, comme l'a dit en un terme pittoresque,
mais vrai, le Courrier de la Champagne.
On
peut voir par ce qui précède quel bien a fait l'abbé Cerf, quel ministère
laborieux et fructueux il a exercé, quel vide il laisse par conséquent.
Et
cet homme si occupé, surtout pendant les vingt dernières années de sa vie, a
trouvé le temps d'écrire plusieurs ouvrages, de publier une foule de brochures
et d'articles de journaux sur des questions d’archéologie, d'histoire locale,
d'art, de biographie. Le Bulletin a été
souvent, depuis l'origine, son tributaire.
Il
n'y a pas, croyons-nous, de question d'histoire locale intéressant surtout le
passé religieux de Reims, sur laquelle l'abbé Cerf n'eût ses notions et ne
connût les sources. Nous l'avons souvent consulté nous-mêmes, et trouvé
toujours auprès de lui les renseignements nécessaires.
Il
était très chercheur, avait une bonne mémoire, collectionnait habilement
notes et documents, et, comme tout homme qui s'est fait une spécialité et n'en
sort pas, il était vraiment fort.
Ses
principaux ouvrages sont : Histoire
et description de Notre-Dame de Reims, en deux volumes in-8° publiés en
1861. — Cet ouvrage ouvrit à l'abbé Cerf les portes de l'Académie de Reims,
comme l'a dit sur sa tombe Mgr Cauly.
Le
premier volume contient l'histoire, le second, la description de la cathédrale.
À la fin de chaque volume se trouvent de nombreux documents annexes.
Grâce
à sa longue étude de la cathédrale, au séjour perpétuel qu'il y faisait, M.
Cerf fut, en notre temps, avec le regretté Mgr Tourneur, l'homme qui la
connaissait le mieux.
C'était
un grand plaisir et un grand profit de la visiter en sa compagnie et sous sa
direction.
En
septembre 1870, il eut le douloureux honneur de la faire visiter au roi
Guillaume de Prusse, qui avait demandé un guide à l'Archevêché.
L’abbé
Cerf racontait ensuite que le roi avait eu, pendant cette visite, une attitude
très respectueuse, et avait surtout paru s'intéresser beaucoup à l'histoire
de la présence de Jeanne d'Arc au sacre de Charles VII, à la place qu'elle
avait occupée pendant la cérémonie, aux autres détails qui regardaient le
sacre des rois.
En
t896, M. Cerf a publié le Livre d'or des
actes de dévouement et de générosité qui se sont produits dans le diocèse
durant l'invasion allemande, ouvrage couronné par l'Académie française,
qui lui a décerné l'un des prix Monthyon.
Le
dernier fruit du travail de M. Cerf est la Vie
des Saints du diocèse de Reims, publiée cette année même.
Entre
temps, M. Cerf avait donné en brochures quelques-unes de ses communications à
l'Académie de Reims, notices sur divers personnages rémois, etc. L'une de ces
brochures est intitulée : L’Évangéliaire
slave, manuscrit du texte du sacre, conservé à la bibliothèque de la ville de
Reims ; une autre, Le vieux
Reims, nomenclature des rues, impasses et places.
Au
Congrès eucharistique tenu à Reims en 1894, M. l'abbé Cerf lut un rapport très
intéressant qui a été aussi tiré à part et publié sous le titre : L'Eucharistie
dans les arts dans l'ancienne province de Champagne.
La
somme de travail fournie par notre laborieux confrère est donc très considérable.
Mais ce que Reims retiendra principalement de lui, c’est le souvenir de ses
vertus, de sa grande piété et de son abnégation dans le zèle.
Plusieurs
de nos œuvres rémoises, aujourd'hui très prospères, lui doivent naissance,
et peut-être l'a-t-on oublié. Il a été, avec le P. Potron, franciscain,
aujourd’hui évêque de Jéricho, l'initiateur à Reims du Tiers-Ordre de
Saint-François. Pendant de longues années, il était seul muni du pouvoir de
recevoir dans le Tiers-Ordre, et la première fraternité qu'on a pu grouper ici
était composée, en grande partie, de frères et sœurs reçus isolément par
lui.
M.
Cerf a beaucoup contribué à l'institution de la Garde d'honneur du Sacré-Cœur ;
on se souvient encore, à la cathédrale, des pieuses instructions qu'il
adressait aux membres de l'association tous les premiers vendredis du mois.
La
dévotion à saint Joseph, à la Sainte Vierge, au Sacré-Coeur et à
l'Eucharistie, étaient ses dévotions préférées. Il avait foi en
l'Eucharistie pour le progrès des âmes dans la perfection et pour la guérison
des habitudes du péché ; aussi, sa direction poussait-elle à la
communion les âmes malades, comme à un moyen de guérison et
d’affermissement dans le bien, les âmes plus parfaites, comme à un moyen de
progrès.
Il
avait aussi une grande dévotion au Chemin de la Croix, qu'il conseillait et
faisait lui-même à peu prés tous les jours, avant les lèpres du Chapitre.
Cette
âme d'élite a eu sa grande part d'épreuves dans sa vie. Il n'a jamais murmuré
quand il s'est vu sous la croix. Très éprouvé dans sa santé depuis dix ans,
il n'a perdu ni la sérénité de son âme, ni celle de son visage. Obligé de
subir l'opération de la cataracte, il s'est joyeusement résigné; atteint
d’une pénible maladie de la vessie, fruit de ses longues séances au
confessionnal, on ne l'entendait jamais, même dans sa famille, se plaindre de
ses souffrances.
S'il
se plaignait de quelque chose, c'était de voir la France dans le triste état où
elle est depuis la guerre. Son âme en était angoissée et pleine de douleur,
et il a dit plus d'une fois à un ami que ce spectacle lamentable d'un pays déchiré,
emporté loin des voies chrétiennes, lui faisait désirer la mort.
Elle
est venue le prendre le dimanche 8 de ce mois, vers sept heures du soir, après
quelques jours de maladie.
Le
temps pascal l'avait beaucoup fatigué. Les lundi et mardi 2 et 3 mai, il eut
encore le courage d'être le matin à son confessionnal, d'assister à la messe
et aux vêpres du Chapitre. Il était toutefois plus pâle que de coutume et
paraissait triste et souffrant. Vers le soir, après un salut donné chez les
Auxiliatrices, un accident très grave, déterminé par la maladie dont les
premières et déjà très cruelles atteintes remontaient à dix ans, l'obligea
à s'aliter.
Le
vendredi matin, M. le Supérieur du grand Séminaire, son confesseur, jugea
prudent de lui donner les derniers sacrements. Le vénéré malade fut prêt sur
le champ. Avant la cérémonie, il fit à tous les siens les adieux les plus
touchants, joints aux recommandations les plus sages et les plus pieuses ;
il fit ensuite sa profession de foi et tint à témoigner une dernière fois de
son filial dévouement au Souverain Pontife, de son respect et de sa soumission
affectueuse envers la personne de Mgr l'Archevêque, de son attachement à ses
frères du Chapitre, de son estime et de sa reconnaissance pour ces Messieurs du
grand Séminaire.
Il
suivit ensuite tous les détails de la cérémonie avec la plus grande sérénité
et répondit à toutes. les prières. Il reçut avec les mêmes sentiments les
dernières indulgences, y comprise celle du Tiers-Ordre. Ce fut, pour tous les témoins,
d'une édification extrême.
L’affaiblissement
venant, une sorte de délire s'empara de lui, pendant lequel, se croyant au
confessionnal, il bénissait, absolvait, exhortait ses pénitents à bien aimer
le bon Dieu. Pour l'en tirer, la voix de son confesseur suffisait, et, tout de
suite, il s'unissait aux sentiments de piété qui lui étaient suggérés.
Le
dimanche, vers sept heures du soir, après ces quelques jours de souffrances,
parfois horribles, il s'éteignit doucement.
Ses
obsèques ont eu lieu le mercredi 11, au milieu d'un grand concours d'amis, de pénitents,
de pénitentes. La cérémonie était présidée par Mgr Juillet, doyen du
Chapitre, qui fit la levée du corps, chanta la messe et conduisit le défunt à
sa dernière demeure. Mgr Cauly fit l'absoute, à la place de Son Éminence, qui
aurait voulu être présente, mais à qui la tournée pastorale ne le permit
pas. Le deuil était conduit par M. le Supérieur du grand Séminaire, en habit
de chœur. Les glands du drap étaient tenus par les deux plus anciens
chanoines, MM. Decheverry et Périn, par M. Jadart, secrétaire général dé
l'Académie, et M. Ed. Noël, ami particulier du défunt et de sa famille.
Au
cimetière, Mgr Cauly, président annuel de l'Académie, prononça le beau
discours que nous avons donné dans noire dernier numéro.
Depuis
lors, l'éloge de M. le chanoine Cerf est sur toutes les lèvres, comme le
regret de sa mort dans tous les cœurs et le souvenir de ses vertus dans toutes
les mémoires.
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Obsèques
de M. l'abbé Cerf
Les
obsèques de notre si regretté confrère, M. le chanoine Cerf, ont eu lieu
mercredi, au milieu d'un grand concours
d'amis appartenant à toutes les classes
de la population.
Prochainement,
nous publierons sur le saint prêtre, sur l'excellent et aimable confrère que
nous perdons, une notice nécrologique.
En
attendant, nous sommes heureux de publier dés aujourd'hui le très beau et très
délicat discours que Mgr Cauly, en sa qualité de président de l'Académie
nationale de Reims, a prononcé sur la tombe de M. Cerf, l'un des plus anciens
membres de la Compagnie :
Messieurs,
Se
peut-il que nous laissions disparaître dans la tombe, sans un mot de souvenir,
de regret et d'adieu, celui que pleurent et que louent tant de cœurs brisés,
l'homme de bien, le prêtre modèle, et pour tous le collègue aimable et bon de
qui l'on peut dire en toute vérité :
Multis ille bonis flebilis occidit !
J'en
appelle à cette foule confondue de dignitaires et de lettrés, de riches et de
pauvres, d'humbles et de petits, qui l'accompagnent à sa dernière demeure.
Il
n’y a pas encore six mois, il, le chanoine Cerf célébrait les noces d'or de
son sacerdoce, et en dépit de sa modestie trop grande qui réclamait le silence
et l'oubli, tout un concert de sympathies et d'éloges s'élevait, dont l'écho
renaît à cette heure, non plus comme un chant de gloire, mais comme un hymne
funèbre.
N'y
revenons pas. Laissons à la reconnaissance publique et privée le soin de dire
ailleurs les exemples et les bienfaits que rappellera longtemps le nom de M.
Cerf.
Ici
je n'apparais et ne veux parler qu'au nom de l’Académie nationale de Reims,
et en qualité de Président annuel de cette Société savante qui le compta
parmi les plus méritants et les plus dévoués de ses membres. Je ne louerai
donc que l'Académicien de Reims, correspondant honoraire du Ministère de
l'instruction publique.
M.
le chanoine Charles Cerf fut élu en 1864 membre titulaire de notre Compagnie,
dont il avait été trois fois le lauréat : en 1856, pour une étude sur
l'imprimerie à Reims, en 1859 et 1860 ; pour ses importants travaux
descriptifs et historiques sur la Cathédrale de Reims.
C'est
donc une collaboration de trente-quatre années que notre confrère a donnée à
l'Académie, années laborieuses et fécondes, marquées par incessant concours,
comme en fait foi la table analytique de nos travaux depuis le demi-siècle
d'existence de notre Société.
Lorsqu'en
1888 l'Académie nationale désigna M. Cerf pour la présidence annuelle, ce fut
un hommage bien mérité rendu à ce travailleur infatigable.
Ses
œuvres demeurent et perpétueront sa mémoire. Je ne veux ici rappeler que les
principales : La Monographie de
Notre-Dame de Reims – histoire et description – qui ouvrit à notre
confrère les portes de l'Académie ; le Livre
d'or du dévouement dans le diocèse de Reims durant l'invasion de 1870,
ouvrage couronné en 1897 par l’Académie française ; la Vie
des Saints du diocèse de Reims, publiée cette année même, au moment où
l'auteur célébrait son jubilé sacerdotal, fruit dernièrement éclos des
recherches et des labeurs de toute une vie.
Mais,
entre temps, que de biographies rémoises, que d'études sur nos monuments et
nos œuvres d'art ; que de traditions recueillies et sauvées de l'oubli !
Gloires
religieuses et gloires profanes, M. Cerf savait tout évoquer et tout faire
revivre. Chroniqueur à ses jours, il livrait volontiers des coupures, des
entrefilets pleins d'intérêt, d'esprit et souvent d'humour que, dans les
journaux, souvent il ne signait pas, mais dans lesquels on pouvait toujours
reconnaître un « vieux Rémois ».
Rémois,
il le fut dans le fond de l'âme ! Né à Reims, en 1824, il y a toujours vécu ;
il a vécu de nos joies et de nos tristesses, de nos épreuves et de nos espérances ;
il a vécu de notre histoire et de nos vieux souvenirs. Nos institutions, nos
monuments, nos antiques familles ont passionné ses recherches et trouvé en lui
l'investigateur intrépide, le narrateur loyal, l'admirateur de tout ce qui élève
les âmes et grandit la patrie.
Il
y a trois jours à peine, on remettait en nos mains la description des derniers
travaux exécutés dans la chapelle de saint Joseph, en notre église métropolitaine.
Ainsi 'notre grand et incomparable monument, qui avait eu les prémices des
publications de notre confrère, devait être l'objet de sa dernière
sollicitude et de son suprême amour.
Voilà
le travailleur ! Et que dire de l'homme ? M. le chanoine Cerf
personnifiait la bouté, la mansuétude, l'indulgence, disons le mot, la suave
et vraie charité. Longtemps nous nous rappellerons le collègue assidu à nos séances,
et tour à tour nous instruisant de ses découvertes avec une modestie charmante
et s'instruisant de nos communications avec une curiosité et une docilité
d'enfant. Nous le reverrons sous les traits que l'âge et la souffrance peuvent
marquer de leur empreinte, mais qui révèlent une âme paisible, maîtresse
d'elle-même, plus élevée que la terre, planant déjà dans la région sereine
du bien et du beau infinis et éternels.
O
cher et vénéré confrère, – nous aimons à le croire et voulons l'espérer,
– votre âme d'artiste contemple une cité et un temple plus merveilleux
encore que l'admirable cathédrale que vous avez si bien décrite. Votre cœur
de patriote et de chrétien a tracé, dans des œuvres qui vous suivent, un
livre d'or..., et la divine Justice vous aura fait bon accueil. Vos actes de piété,
de dévouement et de miséricorde vous auront préparé une place à côté de
ces concitoyens dont vous avez raconté les vertus et ta sainteté, près d'eux
dans la mémoire des hommes, au milieu d'eux dans la cité des saints.
Voilà
des souvenirs et des espoirs que tous emportent de vos funérailles et particulièrement
les membres de votre famille désolée. Mais, en outre, l'Académie gardera
votre nom à la suite de ces vénérables chanoines, vos devanciers, qui ont été
ses gloires : les Bandeville, les Tourneur, les Déglaire... Puissent vos
exemples susciter des chercheurs laborieux et infatigables comme vous, des collègues
aussi aimables et aussi bons que vous !
Adieu,
cher Monsieur Cerf, ou plutôt au revoir dans le monde meilleur de l'indéfectible
lumière et de la réunion pour toujours !
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